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Compte-rendu analytique par Marc HoussayeCafé Citoyen de Caen (24/04/1999)

Animateur du débat : Marc Houssaye

» Politique et Société

Les limites de la dignité humaine dans un monde de consommation

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1 - J’ai entendu à la radio des personnes disant combien ils étaient choqués ou au contraire combien ils trouvaient cela tout à fait normal que des femmes puissent s’exhiber dans des vitrines. Les hommes pouvant le faire de la même façon, il n'y a donc pas discrimination. Bien des gens ont invoqué le fait que de nombreux hommes regardaient ces femmes dénudées, avec des regards assez malsains et très voyeurs. Ce n’était pas du tout le même genre de regard que celui que l'on a face à un mannequin en plastique. Cela mettait mal à l’aise, et les femmes n’osaient pas regarder, alors que la lingerie s’adresse à elles en priorité. Et en général, quand des hommes avaient vu des choses qui les intéressaient, ils n’hésitaient pas à entrer dans le magasin et à aborder les jeunes femmes qui avaient défilé, pour essayer de sympathiser, pas forcément pour avoir une relation sexuelle d'ailleurs. Je n’ai pas entendu le commentaire des femmes qui ont défilé, parce que je crois qu’elles possèdent un devoir de réserve ; par contre j’ai entendu d’autres mannequins dirent « moi je n’accepterais jamais de défiler de cette façon là », parce que le public de la rue n’est pas habitué à voir des femmes en petites tenues et que donc les réactions sont très difficiles à gérer et à recevoir. Alors que quand elles font des collections dans des salons privés, en petites tenues, les gens sont habitués, ce sont des professionnels et elles ressentent moins le malaise. J’aimerai savoir jusqu’où vous êtes capables d’accepter ce genre de choses? Est-ce que c’est un choc pour vous de voir des femmes dans cette circonstance là, à la vue de tous?

2 - Est-ce que cela a changé le comportement d’achat, y a-t-il eu beaucoup d’achats ?

3 - Elles ont travaillé dans le cadre d’un contrat de travail, et accepté par deux parties. Je ne pense pas qu’elles aient émis de malaise, je n’ai pas entendu qu’elles en aient elles-mêmes émis un à défiler devant les regards des gens de la rue. Est-ce qu’on a le droit de dire « ce que vous faîtes c’est indécent , ça ne va pas, c’est indigne !», alors que les personnes elles-mêmes trouvent ça normal, ont signé un contrat de travail, ont pu être rémunérées pour cette activité. Donc à priori, il n’y a pas de malaise émis, il ne se passe rien, et des gens arrivent et pensent à la place des autres et s’autorisent à dire « c’est bien » ou « c’est pas bien ».

4 - J’ai également été choquée par ce fait, quand j’en ai entendu parler à la radio, mais ce qui m’a le plus choqué c’est que cette idée est venue d’une femme : Chantal Thomas, créatrice de la lingerie. Je pense que cela pousse encore plus à réfléchir. Le malaise, aussi bien des hommes que des femmes, venait du rapprochement qu’on peut faire avec les prostituées en vitrine dans les pays du Nord de l’Europe, c’est vraiment ce qui a été dit couramment à la radio. C’est certainement pour cela que beaucoup de gens se sont insurgés. Je ne sais pas effectivement si les mannequins qui ont défilé ont ressenti un malaise ou pas, mais je n’aurai pas envie de penser dans ces termes là, car à ce moment là, on ne peut s’insurger de rien, car si des personnes ont accepté avec un contrat de travail de faire quelque chose de dégradant ou d’illégal, sous prétexte qu’elles n’ont pas de mal être, on ne dit rien ?

5 - Quelles sont les intentions de l’employeur ?A-t-il demandé l’assentiment des personnes si elles souhaitaient être en vitrine ? N’a-t-on pas fait pression sur elles ? Y a t- il eu chantage de la direction ? Mais si elles le font de leur plein gré, on ne peut rien dire sauf évidemment en faisant référence à ce que nous voyons dans le port d’Amsterdam, où on voit effectivement des personnes dévêtues en vitrine.

6 - Je pense que cela ne concerne pas uniquement les femmes qui ont posé, elles représentent un ensemble d’images qu’on pourrait avoir sur les femmes, de femmes-objets plantées au milieu d’un décor. Elles étaient un symbole, elles représentaient quelque chose, les femmes qui étaient en face, si elles ne regardaient pas, c’est sans doute qu’elles ne voulaient pas avoir cette image là, qu’on pourrait leur donner.

7 - Alors ce qui te gêne, c’est le fait qu’il y ait des femmes en vitrine ? Si éventuellement elles avaient de robes de soirées ou autre... ça aurait choqué autant, ou si c’est le fait d’exposer la lingerie qui est quand même quelque chose de l’intimité des couples ? Est-ce que c’est les femmes en vitrine ou la lingerie qui gêne ?

8 - La question posée qui est basée sur un fait d’actualité et qui a été élargie, sur le fait de savoir jusqu’où le commerce peut abuser de la dignité humaine, n’est pas nouvelle. Il y a 20 ans, à Batimat (salon du bâtiment), il y avait en permanence un stand de fabricants de baignoires où se produisait ce même genre de spectacle. Par contre le thème de la dignité par rapport au commerce, où la publicité est capable d’utiliser la détresse, les besoins que les gens ont de travailler ,développe, facilite ce genre de spectacle.

9 - Est-ce que la nudité choque ? Parce qu’en ce moment il y a une publicité pour vendre un yaourt bio, et on voit le corps d’une femme, la caméra monte, et monte, et on finit par voir tout le corps. Est-ce que ça choque vraiment ou pas ? Cela doit dépendre des personnes ? Si les publicitaires s’emparent souvent de la nudité, c’est que cela fait vendre, et aussi parce que c’est beau. C’est pas forcément choquant, il faut que cela reste dans certaines limites ?

10 - Je ne pensais pas qu’on aurait ce genre de débat, à savoir si a partir du moment où des gens donnent leur consentement, on estime que c’est légal. Pour moi il est clair que toute personne n’a pas le droit de contracter des choses immorales et contre les bonnes mœurs. C’est pour moi fondamental, je ne pensais pas qu’on aurait à se poser cette question là. Il y a actuellement des gens qui sont prêts à faire n’importe quoi pour faire de l’argent. Ils sont prêts à se prostituer, des enfants sont prêts à travailler, à vendre de la drogue...On pourrait être les premiers à dire « oui » parce qu’on a besoin de quelque chose et on trouve cela bien intéressant pour sa petite personne de le faire. Heureusement, on estime qu’il y a des lois qui nous empêchent de faire ce qu’on juge immoral. Dans le cadre du magasin, était-ce immoral ou pas ? On peut continuer à débattre sur cette image de la femme qui a été spécifique aux Galeries Lafayette : le fait qu’elles soient en vitrine, alors que maintenant on voit des mannequins en plastiques, figés ; alors qu'ici l'on voit des femmes qui se déplacent et qui sont en petite tenue. Et débordons effectivement sur la publicité de presse, ou télévisuelle, où on voit des femmes en toute petite tenue, voire nues pour vendre des produits qui sont tellement éloignés de la sexualité et de la dignité de la femme ? Ca ne vous choque pas de vendre un yaourt avec les fesses d’une femme ? Ca ne choque plus évidemment, alors que les Galeries Lafayette me choqueraient. Ne serait-on pas en train de pervertir l’image de la femme ou l’image de l’homme pour vendre des produits. Est-ce qu’on ne pourrait pas poser d’autres limites ?

11 - On a déjà posé des limites pendant un certain temps, concernant les enfants en bas âges : on a refusé qu’ils apparaissent dans les publicités. On constate qu’on y peut rien, on peut en effet élargir le sujet, qui remonte à fort loin.

12 - Vous voulez dire qu’on évolue vers une plus grande permission ?

13 - Vous ne vous rappeler pas Polnareff. C'était pour moi la première image-choc. Il nous avait montré ses fesses, ça avait fait scandale à l’époque.

14 - En effet il a été soulevé le problème de la variabilité des mœurs et de leur moralité. Par qui est instituée cette morale ? Pourquoi y a-t-il une gêne concernant le nu et toutes ces choses qui sont rentrées dans les habitudes ? Et que l’on met maintenant en place et qui bouleversent un petit peu nos habitudes ?

15 - Je voudrais soulever le problème de la morale et notamment de ce que j’appellerais la prostitution au sens général. Ainsi, si un employeur fait pression en donnant une prime, en disant que celle qui ira en vitrine aura une prime, pour moi c’est une pression et c’est amoral. Mais par contre, si délibérément elles le font, c’est moins important. Il subsiste quand même le fait de s’exposer en vitrine. Faut il envisager la pudeur, puisque dans ce cas là il n’y a plus de pression ni de question d’argent ? Mais, attention à la prostitution d’un employé par son employeur.

16 - Il ne faut pas simplement se cantonner sur le fait de la nudité ou pas. Cela dépend des circonstances, dans certains cas c’est choquant ou pas, dépravant ou pas. On pourrait élargir le sujet à ceux qui utilisent la détresse actuelle pour proposer des emplois au delà de la légalité. Cela ne concerne pas uniquement le fait de proposer à quelqu’un qui n’a pas d’argent de se mettre dans une position délicate, mais aussi de proposer des heures qui dépassent largement le cadre légal etc. Prenons l’exemple des hommes - sandwich : personne n’aimerait se mettre à leur place, pas même leur employeur. Je ne sais pas si j’aurais été plus honteux de me promener avec une pancarte sur le dos que de me mettre en slip aux Galeries Lafayette ! ? L’utilisation d’une détresse, c’est aussi choquant que l’utilisation de la nudité féminine.

17 - Beaucoup de personnes ont dit que à partir du moment où il y a un contrat de travail et que la personne est volontaire, il n’y a pas d’indignité, je pense que c’est à détacher. C’est pas parce que la personne a signé un contrat de travail et que la personne est d’accord pour défiler en lingerie qu’il n’y a pas d’indignité. De même, une indignité qui n’a rien à voir avec la nudité, qui est le lancé de nains aux Etats-Unis, où les gens étaient d’accord, ils avaient signé un contrat, a été déclaré indigne. Il faut distinguer la volonté et l’indignité et également le fait de la nudité et la manière dont elle est utilisée. Et c’est pour cela que des personnes en bikini à la plage ce n’est pas la même chose que des gens en sous-vêtements dans une vitrine.

18 - Il existe aussi de la lingerie pour homme. Si des mannequins hommes avaient posé, est-ce que cela aurait fait autant de bruit ? Je n‘en suis pas sûr, parce que finalement ce sont des mannequins, donc ce sont des gens et ici, des femmes, qui comme le pianiste qui utilise ses mains comme outil de travail, utilisent leur corps à même escient. Comment peut on décider de l’indignité des gens ? Par ailleurs il est vrai qu’en marketing tout est bon pour faire vendre ; et si il y a une chose sur terre qui intéresse tout le monde c’est bien ce qui est lié au sexe. Un directeur de publicité peut utiliser le sexe pour faire vendre ou au moins avoir un impact. On rejoint donc le monde de consommation, à savoir que tout est bon pour faire vendre. Citons l’exemple de "Benetton" qui utilise des images très fortes, et qui même si ses publicités n’ont pas toujours bien marché, a fait parler de lui, l’impact est là. Et c’est dans l’utilisation du marketing qu’on peut décider si c’est bien ou pas bien. Et si c’est pas bien c’est un mal social, c’est la société de consommation et le fonctionnement du système qui imposent de telles méthodes.

19 - Pour revenir sur la notion de pression. Le problème, c’est que là on est plus dans un système de pression mais d’incitation, or l’incitation est une pression qui ne s’avoue pas. Alors à ce moment-là la pression est partout et pas nécessairement dans ce genre de chose. Il n’y a pas réellement de distinction entre les notions de consentement et de non consentement. Les jeunes femmes ont certes accepté de leur plein gré, mais c’est quand même sous une forme de pression extérieure, avec une carotte au bout du bâton.

20 - La pression est finalement omniprésente. Quant à l’utilisation du sexe dans la publicité, pour vendre des pneus...il existe un sexe impersonnel, par exemple les personnages P. A. O., ou de B. D., cela ne va gêner personne puisqu’il s’agit d’un dessin, mais à partir du moment où une personne est impliquée directement et va donc elle-même se trouver son image dans sa plus grande intimité, cela devient gênant pour elle.

21 - En général dans la publicité on montre plutôt des femmes nues que des hommes nus.

22 - Depuis les années soixante-dix on balance beaucoup les valeurs morales. Est arrivé beaucoup de nudité, je dirais même de perversion ,de vice avec une certaine violence manipulatrice qui incite à des comportements d’achat. Le problème doit se résoudre sur le fait que la femme n’est plus qu’un objet. La femme a-t-elle la possibilité de revendiquer le respect de sa personne dans un contexte régie par l’argent ? depuis toujours les êtres humains sont plutôt considérés comme des esclaves dont on fait ce qu’on veut, on les tue, on les prostitue. Avec la demande capitaliste, on ne parle plus de pudeur. Le respect de la dignité n’existe pas encore, la dynamique économique se nourrit largement de la concrétion des valeurs.

23 - Dans les sociétés il y a effectivement des gens qui feraient n’importe quoi pour gagner de l’argent. Le rôle d’une société, au cours d’un débat citoyen, ce serait de se demander quelles sont les valeurs sur lesquelles on voudrait trouver un espèce de consensus. En même temps qu’on peut poser la question de l’exploitation du corps des femmes, et qu’on voit de plus en plus de corps d’hommes dans les publicités, ils doivent donc avoir les même états d’âme, on ressent un petit peu cela pour autre chose, à mon époque par exemple il y avait une loi qui interdisait tout simplement que les grands magasins soient ouverts le dimanche. C’est en train de changer, on sent bien que de plus en plus on va vers le contraire. Il y avait eu à ce moment une décision de la société qui était que le dimanche, on ne consommait pas, on faisait autre chose. Il faudrait donc se poser la question des valeurs qu’on voudrait mettre en avant par rapport à l’argent, à la consommation.

24 - Le problème des valeurs , c’est propre à chaque culture. Par exemple en Allemagne, on pratique le naturisme, et donc pour eux le corps ne met pas mal à l’aise, ils ont beaucoup moins de pudeur que nous.

25 - Effectivement c’est très relatif, mais ça a évolué. Le comportement qu’on avait dans les années soixante on ne l’a plus aujourd’hui. En ce qui concerne les femmes, elles ont été de plus en plus indépendantes professionnellement et financièrement, socialement...plus on a exploité leur image de femme pour vendre. On sert à vendre et faire craquer le portefeuille des hommes, on sert au business. Tant qu’on fera tourner la planète par l’attrait sexuelle des femmes on fera dépenser de l’argent. Pourquoi a-t-on laissé faire ce genre de choses en même temps qu’on était de prendre notre autonomie ? Je me suis poser la question de savoir dans quelle situation va-t-on m’utiliser comme objet sexuel, et cela va-t-il me gêner ou pas ? Dans un travail, je vais être amenée à jouer de mon charme féminin, a priori cela ne me dérange pas. Par contre, quand dès le départ dans mon contrat il est indiqué que je doit utiliser mon charme pour mon travail, là ça me choque.

26 - Ce qui te choque le plus c’est l’utilisation de tes repères. La femme dans la société, a un rôle, et c’est plutôt l’utilisation de ce rôle qui te choque.

27 - Est-ce dégradant de montrer son corps. Ils y a beaucoup de gens qui font de la musculation et qui développent une certaine image de leur corps dont ils sont fiers, et ils sont assez heureux de l’exhiber, c’est pour eux loin d’être une contrainte. Montrer qu’on a fait attention, qu’on suit un régime spécial, qu’on fait du sport tout les jour...permet à certain de retirer une fierté de leur apparence physique, en d’en faire un métier : mannequins, hôtesses d’accueil...Il ne faut pas séparer le fait de vivre cela comme une humiliation, les problèmes de complexe qui sont reliés à l’image. Beaucoup de femmes, inconsciemment, voyant les femmes en vitrine, trouvent ça dégradant parce qu’elles se place dans la position inconsciente de s’imaginer dans la même situation. Et que elles même au lieu d’avoir une image positive de leur corps, elles ont une image plutôt complexée de leur corps auquel cas elles ont une vision dégradante du fait d’exhiber leur corps. Ce n’est pas du tout la vision de la personne qui travail avec son corps. Les hommes sont également sujet à des problèmes d’image, les publicités qui montrent de beaux hommes induisent malheureusement chez les autres imparfaits, le ventre plat à la plage ! A partir du moment ou on montre des critères de beauté dans une société de médiatisation, on génère des complexes chez ceux qui ne correspondent pas à ces critères. Et de ce fait, ces gens là se voyant dans la même situation, considèrent comme humiliant le fait de montrer un corps qui pour eux n’est pas un objet de satisfaction. Les critères physiques sont largement diffusés par les mannequins, le cinéma.

28 - Dire qu’on peut utiliser son corps comme on peut utiliser sa voix, je suis d’accord, mais une différence majeure entre une personne qui ferait un défilé même de lingerie, elle vend la lingerie, tandis que se retrouvant dans une vitrine même si elle portait une robe et non de la lingerie, se retrouve marchandise en même tant que la robe ou le sous-vêtement.

29 - Pas plus que si elle sert de moulage à un mannequin, ou si elle fait des photos. En face de la vitrine des Nouvelles Galeries, il y avait un kiosque il y avait tout un tas de revues à caractère pornographique ou érotique qui exhibaient des corps de femmes qui sont certainement fières de leurs attributs...

30 - Quant au problème soulevé sur l’utilisation du corps dans la publicité, on apprend bien souvent que les fesses sont à une personnes, les pieds à une autres, le ventre à une autre...et qu’ainsi une seule personne ne peut pas avoir un 37 de pied, un 90 de hanche, et un 50 de taille et finalement cela crée des complexes chez les autres.

31 - Si j’étais à la place des gens en vitrine, je me sentirais être la chèvre qu’on attache au piquet pour être mangée par le loup. Le loup se fiche bien de savoir ce qui est intéressant du costume ou de la chair , il va tout manger. C’est de cet aspect que le commerce profite, c’est à dire le mélange du sexe et de l’objet de la vente. Ce qui gêne les personnes qui vont se mettre en vitrine, c’est le manque d’honneur qu’on leur donne par rapport aux gens qui achètent. C’est à dire qu’ils vont se transformer en chèvre comme je le dis, dans le sens du piège qu’on tend à l’acheteur.

32 - Ce serait les personnes elles même qu’il faudrait questionner. Je ne vois pas en quoi c’est choquant de voir une belle femme, habillée en sous-vêtement pourquoi pas ?Il s’est passé une évolution dans la liberté de montrer son corps. Je ne vois pas où est l’immoralité, il n’y pas de pornographie, ou de sexe. C’est pas vraiment sexuel là , c’est la vue de la femme habillée. J’ai adoré ce mannequin qui faisait de très belles photos et qui a dit qu’elle était très fière de faire ça, parce qu’elle était jeune et qu’elle avait un beau corps, et qu’elle en profitait. Pourquoi pas ? C’est elle qui a choisie, c’est elle qui est libre de son corps et personne n’a à juger de ce qu’elle a à accepter.

33 - Ne croyez vous pas que ce qui vous choque c’est que les Nouvelles Galeries aient affiché notre perversité en montrant ces femmes. En effet, dans notre propre intimité, nous avons une certaine perversité, et le fait de la voir affichée, choque les femmes. Pour ce qui est des hommes, je dirais que ce qui choque c’est d’avoir ressenti en pleine rue ce que normalement ils ressentent dans l’intimité.

34 - Finalement le problème est une question d’éducation, de réflexion du consommateur. Par exemple les femmes qui font un 38 veulent faire absolument un 36, on leur a mis dans la tête que l’idéal est celui-ci et pas autre chose. Cela entraîne parfois des troubles graves :anorexies... Ce qui est dramatique c’est qu’on veut imposer à toutes les femmes, un modèle type et que certaines ne sont pas capables de raisonner par elles même en se disant : « je fais un 42, je suis bien. Et tout les journaux dont on m’inonde, pleins de régimes en tout genre, j’en ai rien à faire ! » Dans mon métier j’ai côtoyé des mannequins et des consommatrices, les mannequins sont des femmes de plus en plus intelligentes, elles ont fait des études et qui savent à la fois vendre leur corps et le vendre avec intelligence. Dans une collection 1 mannequins qui pouvez tout nous vendre était ingénieur et elle faisait cela pour s’amuser. Ce ne sont donc pas des femmes stupides qui n’utilisent que leur corps, elles savent utiliser toutes les armes. Ce qui vous gêne c’est le regard des autres.

35 - Je me désintéresse totalement de savoir si ce sont des femmes intelligentes et quelle est leur taille. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir quelle image on donne dans notre société, que ce soit des femmes exploitées ou des femmes qui ont envie de faire ce métier parce qu’elles gagneraient beaucoup d’argent tout en étant indépendante... Où place-t-on notre morale en France ? Quelle image de la femme on donne ? Avez vous envie de continuer à voir des femmes qui sont utilisées même si elles sont intelligentes et qu’elles font ce qu’elles veulent, montrées du doigt comme pour vendre des produits. Veut on encore voir des corps de femmes vendre des yaourts ?

36 - C’est le problème de l’usage physique du corps. Il vaut mieux qu’elles soient jolies ces femmes, elles seraient moches ce serait encore plus outrageant.

37 - J’ai l’impression que derrière l’idée selon laquelle les femmes qui seraient choquées de l’exposition en vitrine, seraient frustrées...il y a l’idée qui date des années 50, qui présente les féministes comme des vieilles moches, râleuses et irritantes...Tout ce que je veux savoir, c’est jusqu’où on pousse les choses pour vendre dans notre pays.

38 - Nous avons une inconnue pour traité ce problème, comment ce sont-elles exhibées ? Le comment est important, dans quelles conditions, dans quelles circonstances ça s’est passé pour que cela déclenche un état de choque alors qu’on ait habitué à voir des femmes déshabillées. Aux Galerie Lafayettes, je suppose qu’il n’y a pas eu les contorsions qu’on demande aux strip-teaseuses pour aguicher la psychologie masculine au maximum.

39 - Tout dépend du regard des personnes. Si on était quelques années avant, on aurait pas la même attitude que celle qu’on a quand on se promène devant une telle vitrine. Il faut vraiment aller en amont et au lieu de réformer la situation provoquée, il faudrait plutôt réformer l’étique des gens qui regardent. Plutôt que de réformer l’exhibitionnisme, il faudrait réformer le voyeurisme. L’esprit pernicieux est dans les gens et que habillées ou pas...

40 - A propos de la perversité dans l’intimité ou en publique, il est vrai qu’on n’aime pas exhiber en publique ce qu’on fait à la maison. On est pas tous des exhibitionnistes ou des voyeurs. A contrario les moeurs ont beaucoup évoluées, je ne crois pas que beaucoup de gens ont été choqués. Citons un exemple contraire, en Egypte, ou la femme peut porter un voile, n’empêche que les hommes et même les femmes sont avides de certains spectacles où la femme danse et fait même quelques figures érotiques avec le nombril... et pour eux cela n’a rien de choquant.

41 - Les vitrines reproduisaient des chambres luxueuses, et les femmes pendant 10 minutes avaient des activités, elles regardaient la télévision, elles faisaient comme si elles étaient dans un intérieur. On a posé le problème de l’image de la femme en général, or il s’agit plutôt du problème de l’image que les hommes se font de la femme. Voir des tenues qui sont plutôt de nature à générer l’imagination, c’est mieux de les voir en vitrine exposées aux yeux de la société et de commencer à faire sortir tout ce qui rend le "coquinage" du couple amusant, et le faire rentrer dans la société qui est encore franchement étroite et stricte que de laisser ses articles là dans les sex-shop rue Saint-Denis où il faut passer un rideau pour acheter un article. C’était comme cela il y a quelques temps. L’émancipation de la femme elle passe aussi par le fait qu’elle puisse aussi revendiquer certains plaisirs. L’intrusion de l’érotisme dans la société, ça fait du bien.

42 - Quelqu’un a dit tout à leur « elles auraient été moches, cela aurait été encore plus dégradant » or l’objet vendu n’est pas plus moche sur une femmes laide que sur une belle femme. En quoi c’est dégradant que ce soit un femme moche qui porte l’objet?

43 - C’est évident qu’une femme moche exposée en vitrine et à la vue de tous est bien plus humiliant qu’une superbe femme, que les hommes vont apprécier. Ce serait humiliant pour la femme moche. Quand tu as un regard désapprobateur des gens, pas du tout enjoué, et que ton outil de travail, c’est ton corps et qu’il n’est pas beau...il ne faut pas exagérer.

44 - Cela me fait penser aux gens qui avaient des anomalies et qu’on exposait autrefois comme des bêtes de foire. Maintenant c’est interdit.

45 - C’est le problème de l’exposition du corps quelque il soit, qu’il soit nu ou pas. Il y a encore quelques années, on disait des premiers mannequins automates, que c’était inhumain de voir quelqu’un ne pas bouger, c’était un scandale. Comment pouvait on mettre une personne en vitrine, ne pouvant pas ni rire, ni sourire...C’est de l’usage du corps humain dont il faut débattre, que ce soit la femme ou l’homme, l’enfant, le nain...

46 - Est ce que le débat porte sur l’image de la femme de façon générale ou sur la moralité dans la publicité ? On est tout d’accord pour constater que c’est l’argent qui est le moteur de tout. Si on continu le débat sur les femmes c’est une chose avec en sous entendu, la question féministe, si on reste sur l’image et les tabous qu’on ne doit pas transgresser, c’en ait une autre.

47 - On peut avoir tendance effectivement à tomber dans le sexe, c’est à dire à tomber dans la revue porno. Quand je vois les personnes qui sont en photo, quelles soient belles ou pas, j’ai de la pitié pour elles, parce qu’elles se prostituent véritablement, elles se vendent, alors que par contre les mannequins qui seraient de leur plein gré en vitrine, je trouve qu’il y a un décalage, elles sont beaucoup plus libre, même si au premier abord on a l’impression d’une ressemblance. Celles qui sont sur le journal elles ont besoin de ce journal pour vivre.

48 - J’adore le cinéma, je fais parti de ceux qui n’éprouvent pas le besoin de voir des scènes d’amour dans un lit. Je trouve qu’on a fait des chefs d’œuvre où lorsque l’homme et la femme rentrent dans une chambre on voyait la lumière s’éteindre de l’extérieur, cela me suffisais, on avait tous compris. Maintenant on voit autre chose.

49 - Quelle corrélation existe dans certaines publicités entre l’objet qui est à vendre et la présence d’une femme nue ? En ce qui concerne la lingerie, cela se comprend, en dehors de tout aspect moral, toute technique publicitaire peut s’expliquer. Mais comment expliquer l’impact d’une femme nue pour vendre une voiture, voire des ordinateurs...

53 - Pour revenir au problème de l’étique du spectateur, je ne comprend pas quand je vois une publicité pour une voiture et qu’il y a une femme, je vais plutôt regarder la femme que la voiture et si on me pose la question juste après la publicité, quelle est la marque de la voiture ? Je ne pourrais pas répondre.

54 - Mais la publicité vous allez la guetter deux fois quand elle va passer, c’est ce qu’on pourrait appeler un produit d’appel. Le problème à mon avis c’est comment on va vendre un ordinateur par exemple avec l’image de la femme cela va être un ordinateur construit par des hommes pour des hommes et en fait ce qui est très gênant dans cela, c’est que la femme devient complètement objectivée c’est à dire qu’elle ne devient plus qu’un vecteur et à ce moment là ce qui me dérange c’est qu’il y a une sorte de logique assez absente, quelle est l’image qu’on flatte en mettant des femmes en vitrine, l’image est forcément masculine, on ne va pas flatter une image féminine. Le problème de l’image de l’érotisme qu’on flatte, il est à sens complètement unique, de même quand on regarde la publicité, on se trouve dans une optique essentiellement dominé par l’aspect très masculin, on objectera peut être que au niveau socio-professionnel les femmes ont beaucoup évolué, certes mais l’optique reste essentiellement masculine. Vous allez à un salon de l’automobile, qui visite ? Ce sont des hommes, l’optique de l’érotisme reflété est une optique très masculine. Le problème d’objectivation pose d’autres problèmes, la femme sert de médium entre l’homme et l’homme.

55 - Attention, il a été démontré que l’avis des femmes dans le couple pour l’achat d’une voiture compte de plus en plus. En outre, les publicités sur les voitures montrent de plus en plus des femmes sûres d’elles et qui tiennent tête aux hommes macho.

56 - Je suis navré mais l’érotisme féminin est certainement... ?..., or celui qui est prôné actuellement est une sorte de mimétisme de l’érotisme masculin. C ‘est une hypocrisie, il y a un développement de l’érotisme féminin, une sorte de calque pour donner en fait le change mais pas vraiment d’érotisme féminin, mais une sorte de transposition plus où moins de celui des hommes. Mettre la main aux fesses, ce n’est pas un réflexe très féminin. (Il ne l’est plus très masculin non plus.( Ce n’est qu’un pâle reflet, on a eu une sorte de miroir qui a reflété pendant très longtemps l’érotisme masculin et la femme a cru parfaitement juste de tomber exactement dans le même travers au lieu de développer une sorte de valeur érotique indépendante. Cela viendra, mais pour l’instant ce que l’on flatte c’est l’érotisme masculin à travers un érotisme féminin, et ce n’est qu'une pâle copie de l’érotisme masculin.

57 - Et à travers les « boy’s band » et les « drag-queen » on flatte quoi là ? Le masculin où le féminin.

58 - Je répondrai que les femmes n’ont pas eu pendant longtemps le pouvoir de s’exprimer et que elle ne s’est émancipée que dans les années cinquante. Je voudrais que vous imaginiez, vous les hommes que vous avez eu des siècles et des siècles pour vous exprimer. Et nous les femmes qu’est ce que nous avons comme modèles, le seul qui est masculin. Aussi nous pour nous exprimer nous sommes obligées de nous agripper pour qu’après nous formions notre propre érotisme avec la force du temps. Avez vous déjà vu un livre ou un film sur l’érotisme fait par une femme ?

59 - Si, « Romance ».

60 - En tout cas des films pornographiques pour les femmes, il n’y en a pas.

61 - Pour moi, l’érotisme, c’est un mode de communication, une liaison entre l’homme et la femme. C’est un élément de communication et de satisfaction qui va s’établir lors de la relation et donc il n’est pas teinté de masculin ou de féminin. Pour moi, c’est un mode de relation, il est dit paraît t-il que les films de la sixième chaîne qui passent un peu tard le soir sont autant regardés par un public féminin que masculin. C’est à dire que les femmes acceptent cet érotisme là, alors qu’elles n’acceptent pas du le film du samedi soir sur Canal +.

62 - Oui, mais il n’y a pas d’alternative.

63 - Non, mais on tient compte de l’avis et de l’éthique de ces femmes dans la conception du rapport...et la mise en œuvre de la lingerie est elle aussi complètement mixte, et surtout que dans les sondages, les hommes comme les femmes ont des goûts complètement partagés, ils vont a part égale dans les boutiques de lingerie, et ont les mêmes aspirations. L’érotisme, c’est un lieu d’échange entre deux personnes. Pour revenir aux mannequins, la femme objet elle est complètement concrétisée dans les mannequins statiques. C’est à dire que à la limite, voir une vraie femme dans un environnement dans lequel elle fait des activités, c’est déjà moins l’objectiver que de la déguiser statique, en plastique...C’est déjà une avancée. Si on veut faire abstraction à tout prix du corps et de la beauté dans nos sociétés, on ne doit pas me regarder parce que je suis belle, il faut en effet enlever les spectacles dégradants du Moulin Rouge, tout les spectacles dégradants des femmes d’accueil des grands hôtels, choisies pour leur joli minois, les chipendles, les boy’s band...on supprime tout ça. Mais a mon avis les valeurs d’une beauté ont tout à fait leur place, ont ne doit sous prétexte d’une vieille opposition entre la beauté et l’intelligence, mettre la beauté de côté, l’un s’alliant à l’autre de plus en plus souvent. La beauté doit rester quelque chose de fondamentale dans nos sociétés.

64 - Je voudrait revenir sur la question des moches, comment définit-on les moches ? Même si je ne suis pas très favorable à l’utilisation des corps humains dans la publicité, je me disait que si on se mettait à présenter, peut être pas dans la nudité mais dans d’autre cas des corps qui ne sont pas dans les canons de la beauté traditionnelle, cela pourrait avoir une vertu intégrative au niveau social. Donc je pense par exemple racisme anti-gros par exemple, je pense aussi à cette publicité Benetton qui a utilisé le portrait d’un enfant trisomique. Je connais très bien ces enfants, et je pense que cela pouvait avoir une réelle vertu de connaissance et d’intégration de ces enfants qui ont autant le droit de vivre et d’être vus que les autres. Il ne s’agit pas de les rendre objet de ridicule bien entendu. Je pense aussi à d’autres handicapes, je crois qu’il y a eu un spectacle avec un chorégraphe, metteur en scène l’année dernière qui a fait danser sur scène un femme qui avait deux jambes de bois...cela a donné lieu à tout un débat et la chorégraphe défendait la possibilité que un spectacle fondé sur le corps comme la danse pouvait être accessible à des gens qui avaient d’autres aspects physiques. Je pense que cela peut être intéressant de montrer l’image de gens qui ne sont pas tous des canons de la beauté traditionnelle.

65 - On ne peut pas se libérer du conflit suivant, c’est que finalement on a un rapport de force qui naît du fait qu’on a une civilisation qui pour l’instant est encore patriarcale et que nécessairement la femme se ressent et l’homme n’en est pas encore conscient de la façon dont il la considère, comme l’objet. C’est triste à dire, mais je pense que nous homme nous serons de l’autre côté de la barrière, le jour où la symétrique viendra, à savoir quand la société tombera dans le matriarcat. Cette dualité dans le débat mérite qu’on en prenne conscience parce que je pense qu’il serait beaucoup plus simple de raisonner à partir du moment où on sera débarrassé de tensions et de conflits entre l’homme et la femme, sempiternel, qui ferait de la femme une esclave et de l’homme un macho...Ce qui est pourtant la réalité. Or ce n’est pas satisfaisant pour la discussion.

66 - Pour revenir sur l’utilisation dans la publicité, des corps qui ne seraient pas les canons de la beauté, je pense que si on ne prépare pas les gens à recevoir une image, cela va les choquer. Par exemple beaucoup de gens n’ont jamais un trisomique, et leur vue peut leur faire peur et si aucune explication n’accompagne leur image, ils peuvent se choquer. Il faut prévoir toute un travail de préparation à la réception de l’image. Pour reparler des sociétés patriarcales, je dirais que les choses sont plus ambiguës qu’il n’y paraît, combien d’hommes à la maison, n’ont pas le dernier mot ? En Espagne, c’est comme ici, les hommes sont plus fiers au bistrot qu’à la maison ! Disons que les rôles se sont assez bien partagés.

67 - Même si les rôles s’inversent, et que depuis 25 ans les femmes se rattrapent, il y a la maturation et le recule qui sont indispensables. Nous avons une vision très apparente des choses, très triviale, la version la plus facilement admissible.

68 - Ouverture du débat à d’autres utilisations abusives d’image dans la société de communication ?

69 - Il y a les organisations humanitaires qui placardent des affiches dans le métro par exemple, qui représente quelqu’un de tellement maigre que cela en devient choquant, est-ce que cela fait réagir positivement les gens et qu’ils envoient des dons ?

70 - Je n’ai rien dit depuis tout à l’heure et en fait je suis modèle d’art pour des sculpteurs...cela me conviens tout à fait. Quant aux Galeries Lafayette, j’ai été à la fois choqué et agréablement surpris. J’ai trouvé cela chouette, mais concernant le problème de l’image, qu’il s’agisse de la dignité où de la morale, qui est judéo-chrétienne.

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