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Compte-rendu analytique par Jean-Marie SeeuwsCafé Citoyen de Caen (08/03/2008)

Animateur du débat : Vincent Lequenne

» Éducation

Doit-on imposer le devoir de mémoire ?

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Animateur - Avant de commencer le débat d’aujourd’hui, je rappelle brièvement les principes du café citoyen [Rappel des principes et des règles du Café Citoyen]. Pour le sujet d’aujourd’hui, je rappelle simplement la présentation faite sur le site. Comment faire naître la prise de conscience individuelle sans imposer une morale, comment transmettre l’histoire des générations passées sans compromettre celle des générations futures, comment mener une politique commémorative au regard des héros, des victimes des plus sombres périodes de notre histoire.

1 - Je vais d’abord vous dire pourquoi j’ai proposé ce thème, je suis ravi qu’il soit passé d’ailleurs. j’ai choisi ce thème parce que bien évidemment c’était le sujet d’actualité il y a quinze jours, cette proposition du président de la république qui consistait à faire en sorte que les élèves de CM2 héritent de l’histoire, de la vie d’un enfant juif disparu dans les camps de concentration. Donc bien évidemment ça a créé un peu de débat, pas trop finalement parce qu’on n’est pas sur que l’actualité en pousse toujours une autre et qu’on n’a pas le temps de réfléchir sur les questions qui nous sont imposées par les médias comme la télévision. C’est pour ça que je voulais revenir dessus, ça me semble important de se pencher sur cette question là et sur ce devoir ou cette obligation qu’on s’impose de toujours vouloir, comment dire sous couvert de bonnes intentions, mettre en place des propositions de cette sorte. Loin de moi l’idée de penser que le devoir de mémoire n’est pas important mais je voulais simplement qu’on discute de la façon de le mettre en place, s’il y avait une pratique particulière de faire en sorte de faire naître, de faire germer à l’intérieur de nous-mêmes ce respect des anciens, le respect des générations qui nous ont précédés. Ou n’était-ce pas simplement une manière de chatouiller nos esprits et puis de nous occuper l’esprit à coup de pathos. Donc voilà ma petite introduction, simplement pour replacer ça dans le contexte.

Animateur - Donc un sujet lié un peu à un phénomène médiatique du moment. De mon côté j’ai un peu fouillé les archives des modalités européennes, enfin en Europe, sur le devoir de mémoire. Juste pour exemple je me suis rendu compte qu’en Autriche dans les années 90 le parlement autrichien avait proposé, a établi une loi autorisant les gens qui font leur service national à faire leur service vraiment porté sur le devoir de mémoire. En fait plutôt que faire un service militaire, les gens pouvaient choisir d’œuvre dans le cadre de la mémoire. Bien sur en Autriche on voit tout de suite de quoi il s’agit, c’est essentiellement orienté sur, je dirais, les exterminations qui ont eu lieu dans ce pays pendant la deuxième guerre mondiale. Donc ce devoir de mémoire pour essayer pour les générations futures de ce pays, non pas d’exorciser, mais de faire une forme de résilience sociale et culturelle sur un passé très lourd. Ce service qui est proposé en Autriche ne touche pas énormément de gens mais ceux qui y participent font aussi des travaux à l’étranger. Ils sont accueillis en France, en Allemagne pour travailler sur le devoir de mémoire, pour fouiller les archives, je dirais pour ne pas oublier ce qui s’est fait. Voilà c’est essentiellement là-dessus, fouiller les archives et tenir, je dirais, les gens informés sur ce qui s’est pratiqué et ne pas oublier. Donc en France de notre coté il y a eu des lois qui ont été promulguées dans ce sens, un peu sur cette pratique du devoir de mémoire, notamment en 1990 le fait de porter comme délit la contestation de l’existence des crimes contre l’humanité, la loi Gayssot et puis un peu plus tard, alors je passe les épisodes pendant lesquels les présidents successifs de Mitterrand à Chirac avaient fait des allocutions sur le souvenir et avaient proposé que la Franc assume sa part de responsabilité pendant la deuxième guerre mondiale. Voilà ça c’est pour faire un tour, dire est-ce qu’on impose le devoir de mémoire à partir du moment où un état, une nation établit des lois sur la question, on n’impose rien mais je dirais que ça s’impose à nous, c’est un chois je dirais éminemment politique.

2 - Je suis la fille d’un poilu, mon père a fait un sacrifice, moi je trouve lui non, il l’a fait pour son pays. Un an avant qu’il ne meure il a reçu la légion d’honneur, mais lui trouvait normal d’avoir fait son devoir. Il n’a pas touché une retraite, de l’argent. Je trouve que c’est très important que nos enfants, on a de la chance, chez nous en Bretagne par exemple, dans notre petit bled de 2200 habitants, quand mon père a été enterré, le prêtre a demandé à tous les petits enfants, qu’est-ce qui vous rappellera votre grand père dans quarante ans. Le petit voisin a répondu il était un grand joueur de cartes, c’était un tricheur un petit peu, mon fils a dit, moi je vois mon grand père comme un héro, tous mes oncles ont fait la guerre d’Algérie etc. un autre oncle a été prisonnier de guerre, mon père a fait la guerre du Vietnam. Son père est américain. C’est très important que nos enfants sachent et connaissent la racine de leur famille. Chez nous en France autrefois autour de la cheminée, mon père jouait de l’accordéon, il racontait des histoires. Aux Etats-Unis c’est pareil, l y a ce film, je ne sais pas si vous connaissez, de Peter Halley, racines, c’est pareil il a retrouvé ses racines en Afrique. Dans n’importe quel pays, j’ai rencontré des gens d’Allemagne, les Irlandais pourquoi ils sont si différents, ils sont de venus de Elis Island, ils ont crée leur vie, comme les Kennedy et d’autres personnes. Chez nous en France maintenant malheureusement après quarante ans d’absence le problème que nous avons je trouve c’est qu’on s’est endormi sur nos lauriers, nous perdons nos cerveaux, nos ingénieurs, il faut qu’on se réveille, que nos enfants aussi connaissent nos racines et soient fiers de nous, de nos grand père et de nos ancêtres. Moi c’est mon avis.

3 - A la question du jour, doit-on imposer le devoir de mémoire, j’ai tendance à répondre instinctivement, oui. Et puis avoir réfléchi un peu, je me suis dit que finalement ce n’était pas aussi simple que ça .D’ailleurs Marc dans son exposé liminaire a utilisé un adverbe, comment transmettre cette mémoire. Les gens de ma génération, je ne suis pas le seul ici, je vais citer cela à titre d’exemple pour dire que la façon dont on peut imposer une mémoire » officielle » peut être dangereuse, en tout cas souvent tronquée. On a, et j’insiste bien que ce n’est qu’un exemple, on pourrait en trouver beaucoup d’autres dans l’Histoire, donc je disais les gens de ma génération donc nés pendant la guerre ont été informés que finalement la France s’était quasiment libérée toute seule en tout cas que tout le monde était résistant. Or plus tard quand il a été permis de dire un peu plus la vérité on s’est aperçu que c’est vrai qu’il y a eu des résistants dés le début, beaucoup plus dans l’année 44, et puis en 45 tous les français sont devenus, à quelques exceptions près, d’anciens résistants. Lorsqu’on découvre cette supercherie on se demande si l’Histoire telle qu’on nous l’enseigne est chaque fois vraie. Ca me permet de conclure pour dire que tout ce qui est version officielle est version dangereuse. Marc a dit aussi que l’idée de ce sujet lui était venue à propos des récentes idées du président qui s’adressait aux jeunes enfants. Là encore c’est d’autant plus dangereux. Un adulte, un adolescent s’il a des doutes peut fouiller dans les livres d’Histoire, comparer, confronter les diverses thèses et se faire sa propre opinion. J’entends l’opinion entre un fait certain et l’interprétation qu’on en fait. Alors on peut se contenter de dire pour la mémoire on ne va transmettre que des faits, mais de toute façon là encore on peut biaiser en en occultant quelques-uns. Mais allez dire à un jeune enfant fils de policier, que les juifs ont été déportés par la police française, comment va-t-il recevoir cette information. Pour autant si on veut tout dire il faut dire cela aussi mais il faut savoir qu’il y a des informations qui ne sont pas perceptibles sans danger par des jeunes enfants. Pour autant je considère, peut-être à tort, nous avons déjà eu des débats sur ce sujet et je sais que tout le monde n’est pas d’accord, mais je pense qu’on ne peut que mal comprendre l’histoire contemporaine si on n’a pas une bonne vision du passé. Je pense que le présent, l’actualité découle de façon plus ou moins directe du passé, c’est donc bon de le connaître. Pour autant imposer d’une manière officielle la mémoire, d’autant plus à des jeunes enfants, je dis attention ce n’est pas aussi évident que ça.

4 - Je crois qu’il y a d’abord une chose, c’est que le temps par essence détruit tout et principalement le souvenir, parce que Se souvenir c’est déjà peut-être avoir vécu alors que lorsqu’on n’a pas vécu et lorsqu’on ne connaît plus personne qui a vécu, le souvenir devient quelque chose de figé, de statique, qui peut contribuer à la rédaction de ce qu’on appelle ensuite l’Histoire mais qui reste statique. Par essence peut-on apprendre des choses statiques, c'est-à-dire, est-ce que l’Histoire en tant que telle est un bon apprentissage pour en gros ne jamais recommencer. Ben les siècles passés montrent qu’en tout cas par pour l’instant. La guerre 14-18 ce n’est pas si loin que ça, en 18 on a dit la der des ders, plus jamais ça, on a recommencé 20 ans plus tard. Ce sont des choses qui montrent que la vie et les phénomènes historiques, donc politiques par essence, sont infiniment plus complexes que cette vision, je dirais racontée, et statufiée qu’en fait l’Histoire. Par conséquent on a beaucoup de mal à tirer des conclusions pour l’avenir sur des choses qui se sont déjà passées. La preuve en est c’est qu’il y a bien eu la shoah et il y a bien eu quand même un certain nombre de génocides dans le monde depuis 45. Donc il se trouve qu’on peut penser que l’humanité n’aurait pas appris grand-chose. Par contre ces choses là qui sont du domaine du souvenir et je dirais qui vont passer au fur et à mesure dans ce qu’on appelle l’inconscient collectif vont peut-être et on l’espère permettre une humanisation plus importante, le fait que l’humanité se comprenne un peu mieux et avance vers, je dirais, plus de reconnaissance de l’être humain. Après est-ce qu’on doit avoir un devoir de mémoire, je crois que le devoir de mémoire c’est quelque chose qui permet d’exorciser de manière très temporaire, mais j’ai l’intime conviction que dans 300 ans on aura plus du tout les mêmes débats sur la shoah et je crains que la shoah ne soit qu’un événement historique. Alors c’est peut-être aussi un débat, la shoah c’est vraiment quelque chose de tellement spécial que peut-être effectivement ça va être un élément possible nous permettant je dirais de se souvenir à travers les siècles, mais je n’en suis vraiment pas certain.

5 - J’irai un peu dans le sens de ce qui est dit là mais pour compléter un peu que la mémoire ne peut pas être sélective et qu’elle doit être collective. Pour moi le devoir de mémoire de la shoah ne doit en rien enlever aux autres devoirs de mémoire. Alors il y a une question important qu’il faut se poser, il faut se garder de l’instrumentalisation du devoir de mémoire, quel qu’il soit, à des fins politiques ou identitaires car cela présenterait des risques pour le maintien du tissu social. Alors on a parlé de cette mémoire qui est fugace, effectivement qui peut arriver à l’oubli mais on peut se poser la question quand même, même si on ne peut pas donner un entier crédit à l’Histoire, peut-ton se contenter simplement des marqueurs émotionnels comme on a voulu le faire. Il faut quand même s’appuyer aussi sur l’Histoire, une Histoire objective évidemment qui ne doit pas être complètement figée mais vivifiée quand on l’apprend l’Histoire, ça c’est un problème éducatif. Sinon je pense, c’est malheureux à dire, mais si on ne prend pas un certain nombre de précautions il peut y avoir un problème de rejet conscient ou inconscient, volontairement ou involontairement. C’est pour ça qu’il faut être très vigilant là-dessus. Comme on dit agir avec prudence et faire preuve de pédagogie. C’est pour ça qu’il y a eu une réaction assez virulente de la part des enseignants à ce sujet, car il est très difficile d’enseigner la shoah. Je crois que dans une école qui est multi culturelle je plains les professeurs, les enseignants pour enseigner uniquement le devoir de mémoire de la shoah. Quand vous avez des élèves de 49 nationalités, chacun a ses propres identités, chacun a ses propres problèmes, chaque pays a été plus ou moins imprégné, soit par l’esclavagisme, le colonialisme et d’autres formes de guerre , donc il est très difficile d’aborder un problème semblable, il faut le prendre avec beaucoup de précaution. Donc imposer, je dirais ça me parait difficile, éduquer, oui, éduquer et notamment l’école doit être l’école de la citoyenneté, d’abord apprendre la citoyenneté. Comment voulez-vous apprendre de devoir de mémoire si déjà l’école n’est pas l’école de la citoyenneté.

6 - Moi j’étais venue pour entendre parler de trans-générationnelle, donc devoir de mémoire je veux bien, ce qui me gène beaucoup dans le devoir de mémoire tel qu’on en parle actuellement, c’est qu’on nous matraque avec, c’est le problème que c’est un peu pour se disculper de ce qui a été fait pendant cette fameuse période. Je pense que la culpabilité peut effectivement être trans générationnelle. Ce qui me gène c’est le matraquage pour se disculper de ce qui n’a pas été fait et que là encore l’Histoire ne sert absolument pas d’exemple parce qu’o continue actuellement. Demain on va parler du petit Ahmed qu’on aura renvoyé chez lui et qu’on aura créé nous un ministère de l’intégration et de la nationalité, je ne sais même plus comment il s’appelle tellement ça me dérange.

Animateur - Oui donc là dans les remarques précédentes pour essayer de faire le point, donc ce que vous dites, un mémoire de mémoire, oui certes, mais avant tout ça dépend à qui on essaie de l’inculquer, il y a peut-être des préalables, des pré requis pour ça. Effectivement la notion aussi de mémoire qui peut se dissiper dans le temps, les préoccupations de chacun effectivement dépendent un peu de ses origines. Quand Boris parlait du renouvellement des traumatismes dans la société du type shoah dans d’autres sociétés, dans d’autres pays, dans d’autres continents, démontrent bien ça. La prise de conscience elle est liée à un lieu, éventuellement à une époque, quand on n’est pas trop loin dans l’Histoire, mais le temps faisant effectivement ça s’efface. En même temps est-ce que c’est parce qu’un élément s’efface qu’on va oublier ce que l’humanité est capable de faire de la sorte en fait.

7 - Tout à l’heure la question a été posée, comment faire le devoir de mémoire. Je pensais effectivement la question vient sur la façon qui a été proposée de faire le devoir de mémoire, qui est un peu bizarre, un peu émotionnelle et pas forcément réfléchie. Mais une autre question avant même le comment, c’est le pourquoi notamment sur la question de la Shoah. J’ai lu aussi quelques articles ces derniers jours là-dessus et la question se pose de façon prégnante parce que c’est un événement plus qu’important, déterminant effectivement dans notre histoire. Il s’avère que les témoins vivants de cette période viennent à disparaître. Madame parlait tout à l’heure de la guerre 14-18 on en est là aussi, c'est-à-dire comment dans notre société on maintient la mémoire d’événements, bientôt on n’aura plus personnes pour nous rappeler. Je vais prendre un exemple, une des réactions les plus virulentes à la proposition du président a été celle de Simone Veil, elle est encore vivante, le sera- t –elle dans dix ans, c’est la question qu’on peut se poser et c’est effectivement là qu’on doit se poser la question du pourquoi et du comment.

8 - Le devoir de mémoire, il apparaît dans notre discussion qu’il est très, très difficile en fait de charger les enseignants de cette mission. Quelque part ça me fait aussi penser à qu’est-ce que j’ai fait, moi, dans la transmission de ce devoir de mémoire. Et bien je vais vous le dire, je n’ai rien fait. J’ai simplement par la transmission orale que m’ont fait ceux qui m’ont précédé, je remonte pratiquement jusqu’aux années 1880, dans ces eaux là. Qu’en ai-je dit à mes enfants ? Il y a une première responsabilité qui apparaît et je trouverai donc pour assez facile de dire et bien écoutez les enseignants qu’avez-vous fait ? Ca c’est la première chose. Donc là nous avons quelque part une responsabilité. C’est vrai que dans nos voyages à travers le pays, c’est vrai que souvent j’attirais l’attention de mes enfants sur des monuments aux morts où l’on voit des listes de noms, où apparaissent des noms qui se répètent, où l’on voit des familles dont les hommes ont été décimés par la guerre 14-18 et puis après par le deuxième conflit mondial. Mais ceci dit qu’en reste-t-il aujourd’hui pour mes enfants qui ont grandi, je suis persuadé qu’il ne reste pas grand-chose. Donc là nous avons, nous, déjà là un premier reproche à formuler. Ensuite dans nos familles, je pense les uns et les autres, nous avons eu des hommes qui ont été déportés, ce que je peux dire en ce qui concerne ma propre famille, et bien s’ils ont raconté leur histoire c’est vraiment sur le tard, parce qu’ils ne racontaient pas leur histoire. C’est là où dans le fond je peux affirmer que toute une génération a été touchée et je reviens au pourquoi. C’est vrai que la shoah a été un événement très dramatique, c’était surtout une volonté d’éliminer une catégorie d’êtres humains, mais il y a eu aussi bien d’autres catégories humaines qui ont été touchées par la déportation et par les fours crématoires. Aujourd’hui on pourrait presque penser qu’il n’y a qu’une sorte de genre humain qui a été touchée par ce phénomène, alors que ça a été beaucoup partagé. Alors je reviens au pourquoi, et c’est là pour moi une sacrée question. Donc en fait déjà essayons-nous chacun dans notre environnement de transmettre ce que nous en savons avec les imperfections des connaissances que nous pouvons avoir sur ce sujet, mais je suis très prudent dans cette volonté exprimée et notamment à un élève de CM2 de faire comprendre de lui faire porter la charge d’un enfant disparu dans les camps de concentration c’est quand même très lourd. Je voulais faire aussi une autre remarque qui a trait à l’environnement scolaire, je crois que l’on peut affirmer que bien des déportés se sont rendus dans les écoles et ont raconté l’expérience qu’ils avaient vécue. Ca c’est un abord beaucoup plus humain. Disons que je suis très prudent face à la réécriture de l’Histoire.

9 - Justement à propos des déportés qui apportent leur témoignage dans les écoles, j’ai reçu l’an dernier un déporté chez moi, avec les enfants d’une école de Toulouse qui venaient visiter le mémorial et les plages du débarquement. Dans le sens de la transmission avec le temps qui passe et des relations tronquées dont parlait le premier intervenant, il y a effectivement des choses qui e sont apparues alors que j’avais vécu sur les plages du débarquement. Nous avons visité un cimetière allemand et le guide nous a fait remarqué à coté des kilomètres de cimetière américain et canadien, le guide nous a dit regardez les dates de décès de ces allemands, 1946, 1947, pourquoi ? Ces allemands étaient prisonniers après la libération, ils étaient dans des camps et ils étaient utilisés au déminage. Donc ils sont morts sur notre territoire et c’est dans les relations dont on n’a pas parlé pendant très longtemps. On n’avait pas parlé non plus des homosexuels déportés, pendant plus de quarante ans. Ce déporté on a parlé devant lui avec un peu de tristesse de ces allemands alors qu’il avait vécu Dachau, il a été extrêmement ému et il a eu du mal à écouter que des allemands aient pu eux aussi vivre quelque chose de difficile. Il avait top de douleur personnelle, alors il y a la notion de douleur personnelle qui rend le temps nécessaire pour arriver à une certaine vision plus claire. Deuxième idée c’est le comment, comment expliquer, j’ai par hasard écouté à la télévision qu’il y avait un musée de la shoah à Jérusalem. Ce musée est expliqué par des enfants de 12 à 13 ans aux autres qui venaient le visiter. Le conservateur du musée qui est une femme a bien exprimé que le choix de ce musée était surtout d’expliquer la vie possible après la shoah, c'est-à-dire la vision des camps était là obligatoirement, mais les enfants choisissaient plutôt l’image d’enfants ayant survécu, ayant échappé, ayant pu vivre après et comment vivre après le drame. Donc le but est de montrer la vie après, plutôt que de s’appesantir, c’était son objet.

Animateur - Donc là intervient une notion psychologique de résilience. Le devoir de mémoire, on peut dire que la mémoire et l’Histoire sont deux choses différentes. La mémoire c’est la mémoire de celui qui a vécu les événements et qui a survécu, cette mémoire est la plus vive et puis avec le temps. Est- qu’on a un devoir d’analyse personnelle, est-ce qu’on a un devoir de se psychanalyser, non. Alors quid, est-ce qu’on doit, se rappeler oui, je pense que quelqu’un se rappelle lorsqu’il a vécu quelque chose même s’il essaie de l’occulter, maintenant est-ce qu’il a le devoir de transmettre sa mémoire, ce qu’il a vécu. Donc la commenter l’histoire, commenter l’histoire c’est beaucoup plus délicat parce qu’il va y mettre une partie de lui-même et ce n’est pas forcément rationnel.

10 - Je voudrais aborder en fait deux points. Premièrement dire, on a parlé tout à l’heure de mémoire, d’inconscient collectif et finalement se poser la question des structures éducatives qui nous permettent justement de perpétuer la mémoire, et notamment sur le fait de se rendre compte que quand même aujourd’hui il y a une évolution des outils et des structures éducatives. Il y a une évolution de la mémoire. Il n’y a pas si longtemps la mémoire de l’Histoire ça se faisait dans les bouquins, on lisait un livre et donc on essayait de comprendre à partir de choses figées, de comprendre et d’extirper des lignes d’un livre quelque chose qu’on pourrait s’approprier. La mémoire avant tout, le but c’est qu’on se l’approprie. Aujourd’hui il y a quand même une évolution importante à noter, tous les nouveaux outils, les nouvelles technologies qui utilisent l’image considérablement, qui utilisent des artifices comme des montages de film. Il y a vraiment des nouveaux outils qui sont apparus et qui travaillent considérablement notre personnalité. C’est beaucoup plus intrusif, on va dire aujourd’hui. Avant, on va dire, on avait une démarche personnelle pour aller vers l’outil qui nous permettait de s’approprier la mémoire. Aujourd’hui j’ai l’impression que les structures éducatives mises en place, et on le voit avec tout un tas de choses parce que c’est l’évolution technique qui nous amène à ça. On a assisté dernièrement à l’inauguration de l’historial du général de Gaulle à Paris, et bien dans cet historial c’est le multimédia qui est au cœur de l’outil de transmission, des images, de la vidéo, des choses qui sont quand même beaucoup plus intrusives. Ce n’est pas de manière péjorative que je dis cela d’ailleurs, c’est quand même beaucoup plus important d’aller à l’intérieur de l’individu qui regarde. Du coup je pense qu’il y a quand même aujourd’hui quelque chose, un pas de franchi, parce qu’il y a une nécessité pour le citoyen de se prémunir de ces nouvelles intrusions, d’arriver à les maîtriser, d’arriver à s’accaparer et non pas à être manipulé, et finalement d’arriver à s’approprier la mémoire qu’on veut lui faire passer et de faire le tri. Je pense que du point de vue de la citoyenneté les nouvelles techniques qui sont utilisées nous demandent à nous tous, demandent à ce que la citoyenneté soit beaucoup plus travaillée pour qu’on puisse déjouer ces outils, l’utilisation de ces outils. Ca c’était mon, premier point. Mon deuxième point c’est sur la transmission et ça rejoint en fait ce point là, je pense qu’on ne peut pas transmettre sans faire vivre, mais vraiment vivre, faire ressentir des choses à ceux vers lesquels on veut faire passer le message, transmettre des valeurs, faire comprendre ce qu’a vécu la génération précédente. La différence, enfin il y a un grand leurre à mon avis aujourd’hui, c’est faire passer ce qu’on croit comme étant du vécu par l’intermédiaire de la télé ou des choses plus importantes du point de vue technologique, comme étant du vécu. On pourrait rester des heures devant un documentaire et considérer que c’est une sorte d’éducation. Aujourd’hui, on est dans une crise du vécu, on a du mal à faire comprendre qu’il faut que le gens vivent par eux-mêmes avant tout pour devenir citoyen et vivre par eux-mêmes c’est aussi faire des erreurs. Après il y a cette idée qu’il faut apprendre par nous-mêmes, même si on est reconnaissant des choses qui ont été mises en place par nos aînés pour nous faire passer plein de choses, mais ça peut aussi être dangereux.

11 - Je voulais revenir un peu parce que deux fois il y a eu évoquée la difficulté pour les enseignants d’enseigner. Je n’ai pas le sentiment que ce soit si difficile que ça pour les enseignants, pas plus pour eux que pour l’ensemble de la société. En définitive la notion du devoir de mémoire à mon sens et c’est en ça, ça n’engage que moi, que la proposition du président était inadéquate, c’était que le devoir de mémoire n’a qu’une vocation, qu’une vertu, de ne pas recommencer. C’est tout, on n’en attend pas plus et à ce titre là c’est un exercice collectif dans lequel on se met. Je pense que l’erreur du président par rapport à ça, c’est d’avoir proposé une formule qui soit une individualisation d’histoire alors qu’il ne s’agit pas de ça. Depuis des décennies on invite les enfants le 11 novembre au pied du monument aux morts, depuis des décennies on nous enseigne la shoah dans les écoles, enfin moi-même j’y ai eu droit, je suppose que je ne suis pas le seul, de façon collective on a su nous transmettre ce message avec en arrière-plan l’idée qu’il ne faut pas recommencer. C’est à mon sens aussi basique que ça et en ça les enseignants s’en débrouillent très bien. La où la chose deviendrait compliquée, à la suite de la proposition du président, c’est qu’on attache un enfant vivant à un enfant mort. Je pense que tout le monde ressent au plus profond de sa chair, là pour le coup il y a assez peu de mots pour l’exprimer, l’absurdité de la chose. Que Nicolas Sarkozy veuille lui adopter la mémoire de quelqu’un de la shoah ça le regarde en tant qu’adulte, mais qu’il impose ça comme exercice de mémoire à mon sens pour le coup rompt avec la nécessité d’un exercice collectif.

12 - Ce matin j’ai entendu à la radio qu’en Israël les enfants jusqu’à dix ans étaient interdits d’entrer dans un musée de la shoah. D’autre part j’ai emmené pendant 25 ans des jeunes élèves en Allemagne, en vacance et je leur ai fait visiter Dachau. C’est une phrase à méditer, elle a été méditée dans le département au nom de l’inspecteur d’académie, c’est écrit en grande lettre sur fond blanc en lettre noire, d’un écrivain Sentenac : « qui ne se souvient pas du passé se condamne à le revivre ».

13 - Je voudrais rebondir un peu sur ce que disait l'intervenant n°10 tout à l’heure concernant la transmission. Donc il y a un devoir de recherche personnelle, là je suis d’accord. Mais j’ai pu assister aussi à l’intervention d’un ancien déporté, avec des élèves, des jeunes, des ados pas des élèves de primaires, des ados de collège. L’impact est beaucoup plus important quand ça vient de personnes ayant vécu la chose, il faut le dire, que quand ça vient des écrits. J’ai des élèves qui ont pleuré face à cette personne tellement ils ont été touchés par les propos de la personne qui revit les événements quand elle les raconte. Mon intervention est surtout sur le fait qu’on parle du devoir de mémoire et on parle essentiellement de la shoah aujourd’hui parce que c’était un des éléments qui a permis de développer ce débat, seulement je pense que le devoir de mémoire ne doit pas se limiter à cela, je pense qu’on est d’accord. Actuellement malheureusement on occulte d’autres événements qui pourraient être développés par exemple dans les écoles notamment c’est quand même là que le savoir collectif passe. Je pense à la guerre d’Algérie, ce sont des choses qu’on devrait aussi apprendre aux jeunes, ça fait partie du devoir de mémoire, il y a encore des témoins de cette période de l’Histoire qui sont présents. Peut-être qu’ils ont du mal à en parler Masi peut-être que certains voudraient en parler. Alors pourquoi pas cet aspect là dans les écoles. Quand je parle des écoles, je parle collège, lycée c'est-à-dire que je m’adresse à tous les jeunes. Et puis le devoir de mémoire ce n’est pas seulement 60 ou 80 ans en avance, c’est peut-être aussi il y a 20 ans il y a 30 ans qu’est-ce qui s’est passé, des générations qui naissent maintenant ont peut-être aussi le droit de savoir pourquoi notre société est telle qu’elle est aujourd’hui, et c’est aussi un devoir de mémoire. Je pense qu’il y a effectivement l’aspect générationnel, les parents, les grands-parents peuvent faire passer ce message, mais le message collectif il est où pour ces événements là. Donc oui la shoah est un moment important de l’Histoire qu’il faut transmettre, et qu’on a peu de temps puisque que malheureusement les témoins à l’âge qu’ils ont maintenant, mais il ne faut pas pour autant occulter les événements avec des témoins encore présents actuellement.

14 - Je suis tout à fait d’accord avec ce que monsieur disait tout à l’heure, mais c’est vrai que le gros problème c’est que quand il arrive des événements il y a des phénomènes qui reviennent qui font qu’on ne peut pas en parler, dans le temps, un espace rapide. D’abord la douleur est si forte pour les gens qui l’ont vécu qu’ils mettent des années avant de pouvoir eux-mêmes reconnaître, dire, mettre un mot sur ce qu’ils on vécu. Quand on a connu dans sa famille des gens qui ont vécu évidemment la dernière guerre, moi je suis née juste après, mais j’ai des cousines qui ont vécu des choses très difficiles, je me suis aperçue qu’en fait ils mettaient parfois quarante ans avant d’en dire un seul mot. Donc c’est très, très difficile parce que pendant cette période là, il y a à coté la transmission des politiques qui forcément est partiale, tronquée, parce qu’elle ne découvre que ce qu’elle veut bien découvrir, et son point de vue à elle. Donc on entre dans un système qui fait que ceux qui l’ont vécu de près le verront aussi avec leur propre regard, le gouvernement, l’état ne transmet que ce qu’il veut transmettre. Pour moi le devoir de mémoire c’est avant tout le devoir collectif d’un état qui un jour va accepter de reconnaître ce qu’il a fait de bien, et de pas bien, de reconnaître les faits dans leur réalité . C’est peut- ça qui fait que c’est très difficile, c’est pour ça aussi qu’il y a décalage. On parle de la shoah, on ne parle pas encore énormément de la guerre d’Algérie, on parle encore moins du Rwanda parce qu’on s’aperçoit que pour chaque événement le temps est très important pour que chaque état reconnaisse ses positions et ce qu’il a fait à cette époque là, pour ça tombe après dans le domaine de l’Histoire et que les gens, les participants à titre individuel. Donc il y a la mémoire collective. Imposer le devoir de mémoire à titre individuel je trouve ça horrible. Par contre je trouve très bien cette transmission des gens qui ont vécu auprès des jeunes, comme dans une famille un grand père va transmettre à ses petits enfants comment il a vécu quand il était jeune, ses souffrances, ses plaisirs aussi, ça fait partie d’un contexte émotionnel qui permet de transmettre des choses que l’individu qui ne parle va transmettre avec sa fibre avec son lui-même. Mais ça ne peut en aucun cas être imposé, ce ne peut pas être un devoir de mémoire. Par contre c’est bien d’en parler, de ne pas laisser oublier qu’il y a eu des choses horribles de faites, mais le premier devoir de mémoire est celui de l‘état. Ca ne veut pas dire qu’on demande des réparations, je ne vais pas jusque là, simplement quelle est la part que l’état a pris dans telle ou telle, mais ça demande énormément de temps et des fois on ne le sait jamais. Il y a ce temps de pouvoir parler des horreurs.

Animateur - Pour suivre ton propos par exemple certains documents officiels et officieux ne sont pas consultables avant un délai de prescription. Donc déjà à ce niveau là il y a forcément un délai, un délai souhaité par la société.

15 - Je suis tout à fait d’accord sur le fait que les états doivent travailler et ont un rôle important dans le devoir de mémoire. Mais il y a peut-être une question à se poser aussi quant à imposer ou non le devoir de mémoire. Pour revenir à ce qui a été dit au début des interventions, en 44 il y avait déjà un peu plus de résistants, en 45 quasiment tous les français l’étaient. A titre individuel on est je pense tous à se regarder quand même, parce que si on met autant de temps et qu’on a autant de mal à parler des choses et à imposer ou non, en tous les cas à parler de la mémoire, la mémoire là où elle devrait être. On parle du Rwanda, la France est encore impliquée dans cette histoire et on sait bien pourquoi, comme l’Algérie, comme la guerre 39/40, pourquoi on a nous-mêmes à titre individuel du mal à en parler. Peut-être qu’avant de demander aux états de le faire, peut-être que chaque individu en tant que citoyen devrait se regarder en face et devrait jouer son rôle. Peut-être, c’est bien d’écouter effectivement les personnes qui l’ont subi, peut-être que ce qui serait bien aussi c’est d’entendre les témoins de ce qui ont fait les atrocités. Or c’est compliqué, on le sait bien, c’est compliqué d’entendre un policier français raconter pourquoi il a participé à la déportation, à un politique, un collaborateur etc., etc. Je crois moi que le devoir de mémoire peut-être est-il important à être imposé parce qu’individuellement on a du mal à faire notre propre devoir de mémoire, notre propre psychothérapie dirais-je rapidement.

16 - Je crois, en a parlé tout de suite, le devoir de mémoire, on le voit bien dans les interventions, c’est quelque chose qui est de l’ordre de l’individuel, c’est le grand père qui va transmettre, c’est le déporté qui va venir dans une école, bon. Une fois qu’il n’y a plus de mémoire, une fois qu’il n’y a plus de mémoire au sens où une fois qu’on ne se souvient plus parce qu’on n’y était pas. C’est ça qui est intéressant à mon avis dans l’idée de la continuation et de la transmission. Je crois qu’une fois qu’on n’y est plus, ce qui reste c’est, ce sont des choses qui encore une fois sont dans l’inconscient collectif, ce sont des choses qui sont du domaine du symbolique. Seul le domaine du symbolique peut apprendre, je dirais à l’humanité toute entière, un certain nombre de choses pour la faire avancer. Je vais prendre un exemple, qu’est-ce qui reste du 18° siècle, alors il ya des événements historiques, on ne va pas y revenir, mais il y a des choses très importantes en terme philosophique. C’est par exemple la valorisation de l’individu. Avant les Lumières, l’individu était, c’était très difficile de parler de l’individu. Ca c’est le 18°. Au 19° siècle on arrive à la période je dirais un peu de transfert, post révolutionnaire, industrielle. Qu’est- ce qui va rester du 20° siècle. Le 20° siècle c’est le siècle de tous les malheurs, de tous les génocides, de deux guerres mondiales. Mais il va aussi rester le fait que c’est le siècle où c’est l’humanité entière qui prend un sens et plus simplement l’individu, c’est l’humanité en tant qu’espèce, c’est le fait, le génocide c’est l’idée de supprimer une des composantes de l’humanité. C’est tout ça qui reste et je crois que c’est très important parce la shoah a ça de très particulier, ce n’est pas le nombre de morts, c’est la façon de tuer, c’est l’industrie de la mort. Ca, ça va rester, l’industrie de la mort c’est quelque chose qui reste parce que par rapport au goulag où le nombre de morts est supérieur à celui des camps de concentration et c’est bien pour ça qu’il ne faut jamais comparer les malheur, parce que ce n’est pas comparable, là il y a nécessité d’industrialiser la mort. Ca veut dire que l’industrie en tant que telle dans l’inconscient collectif apparait comme quelque chose qui n’est pas toujours positivé. Avoir pensé scientifiquement la mort des gens ca veut aussi dire que la science, alors qu’on avait vu au 18 et 19° siècle qu’elle pouvait résoudre l’ensemble des problèmes des hommes, la science est aussi utilisée au détriment de l’humanité. C’est tout ça qui va rester et c’est ça qu’on peut apprendre. Alors on peut parler d’Hiroshima, on peut parler de la bombe on peut parler de plein de choses, c’est ça qui va rester peut-être du 20° siècle, c’est à la fois le fait que l’homme a compris qu’il y avait une humanité, c’est çà dire une dimension supérieure à la dimension individuelle et que la science qui pendant deux siècles a été la chose qui pouvait nous sauver de toutes les religions de toutes ces choses, je n’arrive plus à trouver le mot, de toutes les croyances, et bien la science elle-même c’est quelque chose qui peut faillir. Ca je pense qu’en termes d’inconscient collectif c’est quelque chose qui va rester, qui est fort. La preuve en est c’est qu’aujourd’hui, début du 21° siècle, ce qui nous intéresse de coup c’est l’écologie et comme par hasard l’écologie ça prend deux dimensions. La dimension de l’homme en tant qu’humanité et le fait qu’il faut arrêter de travailler de manière industrieuse parce que l’industrie et les techniques de production ce que j’appelle l’industrie c’est mal. Mais ça quand je dis c’est mal c’est psychologique, c’est de l’inconscient collectif, c’est ça qui va rester, ça n’a rien à voir avec ce qu’on appelle le devoir de mémoire au sens où quelqu’un va raconter ce qu’il a vécu et donc s’il l’a vécu on sait bien qu’on touche au pathos, parce que forcément c’est très compliqué d’évoquer des choses qui sont du domaine de l’innommable, mais on n’est guère plus que dans le pathos. Je crois que pour conclure et je vais faire court, quand on reproche au président de vouloir faire du pathos, le devoir de mémoire au sens où quelqu’un raconte ce n’est que du pathos, mais ce n’est pas pour ça que ce n’est pas bien mais ce n’est que ça, parce qu’il suffit d’entendre quelqu’un qui raconte pour savoir que vous avez très vite les larmes aux yeux, on n’est pas du tout dans le domaine ni de la réflexion ni de la transmission, ni le fait de penser ça, on est dans le domaine du vécu et la transmission de un à un de choses abominable. Et ca forcément quand il n’y a plus personne ça s’arrête. Donc qu’est-ce qui reste, c’est à mon avis la seule question qu’on peut retirer de ce qu’on appelle le devoir de mémoire.

17 - Oui tout à fait, alors justement ça pose un problème, bon s’il n’y a plus de témoin, s’il n’y a plus d’émotion, il reste l’Histoire quand même. Alors l’Histoire tout dépend comment on l’enseigne c’est évident. Quand on voit, j’ai lu un livre très intéressant de Soul Frilander qui dit il faut bien étudier la shoah mais à travers le nazisme. Il faut expliquer comment on est arrivé, il faut expliquer l’inexplicable. En fait expliquer le nazisme c’est expliquer l’inexplicable. Comment on peut arriver à faire comprendre que c’est quelque chose d’horrible et qu’il ne faut plus qu’on le fasse, qu’on a vécu le pire et qu’il faut aller vers le meilleur c'est-à-dire donner un sens à l’Histoire pour aller vers le meilleur. Alors il dit il faut bien analyser le phénomène du nazisme, comment on est arrivé à l’impensable et lui il dit il faut d’abord bien connaître, donc on est bien obligé de se référer à l’Histoire. Or il y a des historiens qui ont fait quand même une analyse très poussée du nazisme pour expliquer comment un seul individu plus ou moins psychopathe a pu réussir à embraser l’Europe et entrainer derrière lui tout le peuple allemand, enfin une très grosse partie du peuple allemand, pas tous puisqu’ il y a eu quand même pas mal d’allemands qui ont souffert aussi du nazisme. Oui les premiers déportés étaient allemands. Alors c’est parti d’un esprit dominateur, c'est-à-dire la race supérieure, donc à travers ça on explique aux jeunes qu’est-ce que le racisme, on est arrivé à ce génocide par le racisme. Il y avait aussi en Allemagne comme dans certains pays d’Europe même en France, il y avait le terreau de l’antisémitisme, bon actuellement on peut en parler encore. Dans les banlieues quand on voit ce qui s‘est passé récemment on se dit vraiment il y a encore de l’antisémitisme. Alors il est important de connaître cette genèse, la genèse de ce qu’on peut appeler l’holocauste. Au début les israéliens l’appelaient l’holocauste, les laïcs l’appelaient l’holocauste parce que la shoah n’est pas le terme propre. La shoah ça vécut dire en Hébreu la vengeance de Dieu. Alors c’est quand même important de le savoir, les orthodoxes israéliens considèrent que ce qui s’est passé a été une punition d’Israël par Dieu, parce qu’ils n’ont pas respecté les principes de Dieu. Donc vous voyez qu’il n’y a pas la même interprétation même en Israël entre les orthodoxes et les laïcs. Mais actuellement étant donné que l'auteur a fait une étude dans plusieurs pays sur les rescapés de la shoah notamment aux Etats-Unis, en France et en Israël. En Israël actuellement, il y a une instrumentalisation de la shoah vu les circonstances avec les problèmes qu’ils ont avec leurs voisins. Mais en réalité il est important de revenir sur le nazisme et bien expliquer ce phénomène du nazisme, comment on est arrivé à ça, c’est important, si on veut effectivement sensibiliser il faut faire une analyse citrique historique. Et ce n’est pas avec des enfants de 10 ans qu’on peut le faire, on peut le fait en terminale, j’ai posé la question à mon fils, il m’a dit en terminale on a étudié nazisme et on a compris beaucoup mieux le nazisme et la shoah qu’en cm2 parce qu’il avait en cm2 il avait évoqué mais c’est plutôt le coté sentimental émotionnel. Mais quand l’émotion disparaît il ne reste plus rien non plus.

Animateur - Oui, pour revenir sur les interventions, une petite phrase sur l’Histoire n’est pas la mémoire. Il ne faut pas confondre la mémoire des victimes qui résulte d’une vision subjective de leur propre chacun avec le travail critique de l’historien qui vise à dégager une vérité commune. Ce que disais Boris comme ce que vous disiez effectivement c’est plus s’inscrire dans un travail d’historien et non pas un devoir de mémoire, un travail de mémoire et non pas un devoir dé mémoire intrinsèque.

18 - J’ai retenu quelque chose tout à l’heure sur l’utilité de la mémoire qui devrait empêcher que des événements désastreux se reproduisent. Là je suis dans le doute complet. Je crois que c’est De Gaulle qui avait dit, les français sont des veaux, on pourrait dire que les peuples en général sont des moutons. Je me souviens quand j’avais 11 ou 12 ans, j’étais en pension chez les bonnes sœurs, on revenait de la messe en chantant maréchal nous voilà. Ensuite quand il y a un leader qui émerge la majorité des gens le suit. Hitler a été suivi par la majorité des allemands, il y a eu des résistants, il y a eu des déportés, mais la majorité des allemands l’a suivi. Poutine est suivi par la majorité des russes, les autres n’ont pas le droit de parler on ne peut donc pas les entendre. Mais c’est pareil dans tous les peuples. Alors je me demande si dans des conditions pareilles peut être utile à la non reconduction des événements.

Animateur - En matière de mémoire, là on parle d’un devoir de mémoire d’une société à l’égard d’un fait, je dirais d’une persécution généralisée. Les persécutions commencent dans son entourage et qu’elle en est la mémoire de chacun. N’est-il pas plus facile de se faire entendre dire il faut persécuter les autres, alors qu’on est déjà peut-être soi-même un persécuteur dans son alentour, on peut déjà persécuter les siens d’une manière peut-être plus soft que ce qu’on a entendu avec l’holocauste, la shoah. Mais la mémoire d’une persécution quelque qu’elle soit, y a t il un devoir. J’en reviens à ce que je disais tout à l’heure, y a-t-il un devoir d’analyse de chacun, essayer de comprendre pourquoi il persécute l’autre, et est-ce qu’il persécute l’autre.

19 - Pour donner suite à ce que disais monsieur et à ce que tu viens de dire. Je disais tout à l’heure que la mémoire n’avait pas d’autre vocation que d’éviter de recommencer. Effectivement qu’on agisse aujourd’hui avec des enfants de dix ans dans les écoles d’un point de vue émotionnel et plus tard quand ils sont adolescents sous un angle historique, la question fondamentale qui apparaît derrière c’est aujourd’hui si un type tel qu’Hitler, qui ne s’appellerait pas Hitler ? sinon ce serait trop facile, revenait sur la place, saurait-on collectivement et individuellement s’en méfier, désobéir, rompre la chose pour ne pas que ça recommence. Je fais un parallèle, n’y voyez rien de tendancieux, mais parce que la dame qui est partie tout à l’heure a voulu le faire et il me semblait intéressant. Elle a mis sur le tapis les lois sur l’immigration aujourd’hui, collectivement et individuellement, comment nous agissons avec ce que nous avons en mémoire, intégré à l’école et par nos proches, qu’on ait ou pas connu directement les faits d’autrefois, comment nous nous positionnons par rapport à ça. Alors la question d’aujourd’hui était peut-on imposer un devoir de mémoire, l’autre question pendante était effectivement comment et la question finale comment imposer un devoir de mémoire pour qu’il soit efficace. C’est peut-être ça.

20 - J’aimerais bien quand même qu’on aborde les dangers du devoir de mémoire. On s’accorde tous à priori à dire que c’est important de respecter la mémoire des anciens, il y a un consensus qui semble se dégager. Je n’aime pas trop les consensus. Moi je pense qu’il y a un risque de trop mettre en avant ce devoir de mémoire, notamment médiatiquement et également du point de vue du gouvernement qui met en place des choses pour nous inciter, nous imposer une conscience particulière. A mon avis, si devoir de mémoire il doit avoir, il doit avant tout être libérateur et non pas le moyen de nous enfermer, enfermer chaque individu, ce ne doit pas être des chaînes. La mémoire à mon avis ce doit être une libération, un état de conscience, le moyen de se détacher justement de préjugé, de choses dans lesquelles on aurait pu tomber. Aujourd’hui j’ai plutôt l’impression que le devoir de mémoire est utilisé pour nous rendre plus coupable et beaucoup pus gravement, je trouve, pour supprimer le goût d’initiative. Ca je pense que c’est quand même très dommageable comme exemplarité chez les jeunes. Parce que quand on met en place un musée de la mémoire dans lequel tous les petits gamins qui veulent s’amuser, on les réprimande à coup de bâton parce que justement il ne faut pas casser les vases en faïence, ça bride quelque chose d’important qui est une sorte de renouvellement de régénération de la jeunesse. Dans le devoir de mémoire il peut y avoir ce risque castrateur et une déviance, une sorte de morale fabriquée pour certains. Donc je pense que c’est intéressant à mon avis d’explorer ce devoir de mémoire qu’on veut imposer dans ce sens là parce que ça peut aussi être le moyen pour certains qui ont vécu des choses, ou pas d’ailleurs, de s’approprier pour eux les consciences d’autres personnes. Alors il y a quelque chose de castrateur dans le devoir de mémoire. A mon avis le devoir de mémoire très bien fait il ne doit pas nous faire rendre compte justement d’une sorte de culpabilité mais ça doit vraiment être quelque chose qui nous libère, on ne doit pas sentir les chaînes de la mémoire.

21 - D’abord je pense qu’il faut faire une différence entre la mémoire rapportée par un témoin, et la mémoire que l’on se construit à l’étude des événements. Le témoin illustre une mémoire d’ensemble mais ne peut pas à lui seul expliquer ce qui s’est passé, les tenants et les aboutissants d’un événement. On a dit à plusieurs reprise, en tout cas je crois l’avoir dit dans ma première intervention, il est indispensable de connaître son Histoire. Ce n’est pas pour autant que malheureusement l’Histoire ne se renouvelle pas, mais c’est peut-être précisément parce qu’on n’est pas assez nombreux à essayer de comprendre ce qui s’est passé. Mon voisin disait tout de suite Hitler est arrivé au pouvoir avec une majorité des allemands. En fait il est arrivé au pouvoir avec 30% des voix, 33% la première fois, 30% la seconde. Il a utilisé une lecture à sa manière de l’article 48 de la constitution de Weimar, et dans un tout premier temps, avec cette majorité relative et avec cette constitution ça lui a permis de mettre en place ce qui lui a permis de devenir un dictateur. Comment on est-on arrivé là, il n’y avait plus de gouvernement, la constitution de Weimar n’avait pas permis de constituer un gouvernement solide. Et lorsqu’on s’aperçoit dans l’histoire de son pays qu’on retrouve une situation identique, ne peut-on pas dire qui si on avait une mémoire plus solide du passé on pourrait l’éviter. En 1958, si ce n’avait pas été De Gaulle, ou si de Gaulle avait été autre on pouvait avoir un Hitler bis, tout le monde était prêt à accepter n’importe quoi, n’importe quel individu censé capable de remettre de l’ordre. Donc quand on dit que l’Histoire ne se renouvelle pas, je pense que ce n’est pas vrai, l’Histoire se renouvelle, en tout cas les mêmes événements produisent généralement les mêmes effets. Si on n’essaie pas de s’imprégner de ce qui s’est produit dans le passé on est beaucoup plus fragile pour ne pas empêcher que les événements se renouvellent. Je reviens sur la shoah ce n’était pas dans le contexte de l’époque qu’Hitler qui était antisémite, c’était un sentiment, si on lit les écrits de l’époque, qui était largement répandu, quasi mondial. Il n’a d’ailleurs pas cessé en 45, en Russie par exemple ça a continué, ce ne veut pas dire qu’il y a eu exactement les mêmes exterminations, mais il n’en reste pas moins vrai que le germe n’a pas été tué tout de suite. On peut comme ça multiplier dans l’Histoire ce genre d’exemple. L’Algérie, c’est la même chose, madame en parlait, c’est vrai qu’il serait intéressant de pouvoir tout révéler, là encore il y a évidement plus de témoins vivants que pour des événements antérieurs, pour autant chacun d’eux n’a qu’une vision partielle. Demandez à un parachutiste de la division Massu, d’expliquer la bataille d’Alger, il pourra raconter ce qu’il a fait lui et ses collègues, mais ce n’est pas pour autant qu’il pourra expliquer le contexte. Pour tout dire, tout dévoiler, là encore, il faut être prudent. Expliquer à quelqu’un qui a sauté sur une bombe que peut être sa bombe a été financée par un porteur de valise français, j’en connais au moins un qui vit encore, est-ce que c’est bon ou mauvais, je n’ai pas la réponse.

22 - Je suis d’accord que pendant le conflit de la guerre d’Algérie il y a vraiment des épisodes, des souvenirs vraiment dramatiques. J’ai été témoin voici huit ans, j’ai vécu au tiers monde, je suis allée au Guatemala et ils sortaient justement d’un génocide causé par les conquistadors. Ce qui m’a vraiment frappée c’est le courage du peuple maya, ils avaient cette noblesse d’âme et ce courage d’avoir supporté ce qu’ils ont supporté. Les gosses après, deux ans après, ils étaient fiers de porter comme nous dans les écoles catholiques, ils avaient les uniformes bleus, jupes écossaises et ils chantaient tous les samedis dans les squares l’hymne national. J’ai vu dans les yeux des grands parents, autrement ils ont les yeux très noirs de velours, cette tristesse et pourquoi, parce que leur village avait été exécuté par le génocide, provoqué par qui, par les espagnols. Donc ils ont porté leur désespoir et néanmoins avec beaucoup de courage maintenant ils sont très fiers d’être mayas, d’être espagnols. Ils parlent l’espagnol comme on le parle en Espagne. C’est un exemple qui me marquera toute ma vie, ce peuple qui n’a rien, qui n’avait rien et qui partage tout.

23 - Je voudrais dire qu’il faut éviter de tomber dans la repentance plaintive. Tout à l’heure on a parlé de l’Histoire, ceux qui ont vécu cette période là peuvent en parler plus facilement parce qu’il ne faut pas oublier une chose, quand on parle de la responsabilité de l’état français, c’est vrai l’état de Vichy. Mais attention qui a instauré l’état de Vichy, c’est l’assemblée nationale et le sénat, composés à l’époque essentiellement de gens de gauche, qui ont voté les pleins pouvoirs à Pétain, ça il faut le rappeler. On a une responsabilité aussi là-dedans. Ensuite qu’est-ce qui s’est passé, on ne peut pas faire tomber la faute sur tous les français, il y a eu les justes quand même. Il y a beaucoup de gens qui ont protégé les Israélites. Je peux vous parler en connaissance de cause parce qu’à Bayonne il y avait une communauté israélite très importante, et bien l’évêque de Bayonne à l’époque a demandé à ce qu’on protège et on a baptisé des juifs pour éviter qu’ils aillent, qu’ils aient des problèmes. Il y en a qui ont été accueillis dans des couvents dans le pays basque et en Béarn, il y a une grosse partie de la communauté des juifs de Bayonne qui sont partis en zone libre parce qu’on sentait bien que ça allait mal pour eux. C’étaient des gens qu’on connaissait très bien, c’était des amis. Et bien on ne peut pas culpabiliser toute la France parce qu’il faut quand même faire bien attention. Il faut expliquer tout aux jeunes, justement il faut leur parler des justes et c’est à partir des justes qu’on peut leur dire et bien voilà ce qu’il faut faire. Parce que si on culpabilise tout le monde c’est une erreur grossière.

Animateur - Oui et effectivement il y a plusieurs raisons à la persécution nazie. Il y a la persécution pour appartenance religieuse ou à une communauté et puis aussi la persécution pour développer certaines idées. On peut penser à Rosa Luxembourg ou à d’autres.

24 - Tout à l’heure, je crois que c’est monsieur là-bas, qui a dit le devoir de mémoire ça sert pour ne pas recommencer. D’autres ont dit qu’on pouvait lire l’Histoire, qu’on pouvait trouver les raisons. Ben moi je trouver que vous avez bien de la chance parce que moi je suis incapable de trouver quelles sont les raisons du nazisme de manière objective. Je peux en citer, est-ce que je vais les connaître suffisamment et est-ce que je vais être suffisamment pertinent pour savoir retrouver dans les événements actuels des résurgences qui vont me permettre de faire attention. C’est ça la grande question, et je crois que non. Je crois par essence que non parce qu’encore une fois on a une vision, l’Histoire nous amène une vision très parcellaire, l’Histoire nous amène les événements importants, les causes importantes. Qu’Hitler ait été élu avec 30% ou avec une majorité soit, et alors, est-ce qu’aujourd’hui on a par cet exemple, si on fait toute la liste des causes, est-ce qu’aujourd’hui cette liste des causes nous permet d’affirmer qu’on ne va pas recommencer. Je suis certain que non parce que cette liste des causes n’est qu’une liste tout à fait approximative et encore une fois, l’Histoire n’est qu’une photographie de la réalité, ce n’est pas la réalité et on sait bien dans les événements que l’on vit qu’il y a toute une complexité de choses et notamment la psychologie individuelle et collective qu’on ne peut pas mettre en mots ni en Histoire. Donc par essence je ne vois pas comment l’Histoire peut être un gage de leçon pour l’avenir, sauf à ce que quelqu’un s’habille tout en noir, qu’il fasse le signe hitlérien et là on pourra dire, avec une petite moustache, là on pourra dire il y a de grande chose qu’il recommence, je ne vois pas bien objectivement comment on peut faire. Quand même les faits montrent que si vraiment on sait faire on est vraiment, enfin l’humanité est d’une bêtise incommensurable parce qu’encore une fois depuis 45 il y a quand même eu un certain nombre de génocides et on a recommencé, on n’a rien appris. Je ne crois pas, plutôt je suis même convaincu du contraire, je suis convaincu que si on apprend ce n’est sûrement pas en racontant l’Histoire.

25 - Moi j’ai appris un petit peu les événements dont on parle actuellement par mes grands parents, particulièrement par ma grand-mère qui a vécu la guerre de 39/40. Elle m’a raconté un certain nombre de choses vécues, que ce soit des bombardements ou bien des faits de résistance pour lesquels elle a participé. Elle m’a raconté aussi assez brièvement, j’avais à peu prés douze ou treize ans, donc bien après évidemment la période dont Nicolas Sarkozy veut inculquer le témoignage aux enfants de CM2. J’ai été frappé à cette époque là par ses témoignages et surtout l’émotion qu’elle avait encore, donc ça c’était en 79/80. Après ce sont des choses qui sont revenues mais les premiers témoignages c’est à cette époque là que je les ai connus. Donc il y avait une émotion assez intense.40 ans après c’était encore bien ancré dans sa mémoire. Elle m’a transmis un certain nombre de connaissances et puis surtout elle m’a raconté que ses frères, notamment pour certains, avaient été déportés dans les camps nazis, même si elle a été très brève. A l’époque, bizarrement, il y a eu le film Holocauste, je ne sais pas si les gens s’en souviennent, un film américain, un feuilleton américain qui est passé pendant quelques mois à la télévision et qui m’a fait découvrir cette période. Aussi parallèlement l’éducation, le collège dans lequel j’étais nous a diffusé Nuit et Brouillard, ça faisait donc beaucoup de témoignage pour la même époque, à peu près la même année, donc j’étais vraiment sensibilisé, assez frappé. Je me souviens d’ailleurs quand j’ai vu Nuit et Brouillard on était en quatrième, on est resté après la vision du film, c’est tellement incroyable pour nous à l’époque, on est resté un quart d’heure sans rien dire, un grand silence. Après il a fallu emmagasiner toute l’émotion. Donc je pense que le devoir de mémoire doit rester présent parce qu’il ne faut pas oublier ce qui s’est passé. Mais c’est vrai que cette période là, Dieu sait qu’elle est importante, reste encore très présente actuellement, on le voit à la télévision où les films, je ne veux pas faire de publicité mais il y a un film qui sort sur les femmes résistantes qui montre le rôle de certaines femmes dans la résistance. Et puis je constate que depuis quelques temps, notamment sur France2, il y a beaucoup de téléfilms sur la deuxième guerre mondiale. Donc on ne peut pas dire qu’il y a un oubli sur le devoir de mémoire, puisqu’à travers les films ou les émissions ou les livres, notamment le témoignage de Simone Veil, il y a quand même des choses qui sont transmises. Alors moi ce que je trouve, c’est important cette période là, je trouve qu’on en parle beaucoup actuellement, et c’est bien pour les jeunes générations, mais comme on le disait tout à l’heure il faudrait aussi parler de faits plus récents, d’événements historiques plus récents, pas forcément dans le domaine de la guerre mais aussi dans le domaine social, En fait je crois qu’il faudrait peut-être dépasser ces témoignages là, cette connaissance de cette période historique pour entrer les valeurs qu’il faudrait transmettre aux générations futures pour ne pas justement que ces valeurs de haine, de racisme, de destruction se poursuivent, c'est-à-dire au contraire faire des valeurs antinomiques de respect, d’acceptation de l’autre et puis de paix. Ca se sont des valeurs qu’on retrouve maintenant mais je pense que pour la génération future il faudrait les transmettre et dépasser justement tout ce qui s’est passé pour pouvoir ressortir ces valeurs positives pour les générations futures, pour éviter justement que cette haine qu’il pouvait y avoir dans lés années 40, puisse rester dans les individus qui pourraient agir de manière négative contre les autres. Moi c’est ce que retreindrais, pas l’oubli cette période là mais aussi parler d’autres choses, de faits de société, de faits historiques. C’est vrai on parlait de la guerre d’Algérie mais ça peut être aussi la défense des droits, bon là c’est complètement différent mais la défense du droit des femmes parce qu’on parle encore de violences conjugales, on parle encore de la violence contre les femmes etc. Donc le devoir de mémoire ne pas l’appliquer uniquement à des faits de guerre mais aussi à des faits de société qui sont très importants actuellement puisqu’on est en période de paix, j’espère qu’on y restera mais qui véhicule des constructions sociales, des relations sociales qui peuvent perdurer dans le temps, il faut exploiter justement ces différents faits historiques pour en tirer les valeurs positives.

26 - On pourrait peut-être remonter plus haut, il n’y aurait pas eu cette possibilité de haine et d’horreur si lors du traité de Versailles on n’avait pas infligé une vengeance épouvantable par rapport au peuple allemand. Il ne faut pas oublier que c’était l’époque où il y a eu le développement d’un chômage épouvantable, le fameux crack de 1929 aux Etats-Unis qui n’a fait qu’accélérer les choses. Hitler vivait en Autriche si je me souviens bien, il avait une formation d’artiste, il clapouille un petit peu partout parce qu’il y avait beaucoup de misère sociale et c’est à la faveur de ça qu’on a pu le contacter, le manipuler. J’ai un ami de fac qui a écrit un bouquin sur le nazisme, c’est Jean Claude Frère, qui est extrêmement révélateur des sources profondes du nazisme qui sont ignorées par la plupart de gens même par ceux qui ont fait leurs études secondaires. Alors je pense que maintenant symétriquement à la nécessité du devoir de mémoire il y aurait peut-être une nécessité du devoir de prévision pour éviter les folies humaines à venir, qu’on travaille à élaborer une loi mondiale qui puisse être respectée par tous et qui permettrait de construire une société meilleure. Mais ne nous faisons pas d’illusion il y aura encore sûrement des génocides et des massacres. Quand on regarde le spectacle du monde actuellement, le nombre de guerre qui sont en cours, et les foyers de guerre, c’est prodigieux. Alors il y a une possibilité, il y a quand même des gens de bonnes volontés qui dans le silence, dans le calme, dans la discrétion travaillent à construire une humanité unie.

27 - Ca va être d’autant pus court que Damien a défini le contexte de l’époque qui a amené Hitler. Ce que je voulais faire un peu pour répondre à Boris mais surtout pour insister sur le fait que si on n’a pas la mémoire on laisse plus facilement se renouveler les mêmes événements sans réagir. Donc le contexte, Damien vient de le décrire, le moyen c’est un émiettement des partis politiques, des discours populistes, une constitution qui ne protège pas suffisamment. On a retrouvé récemment en France une situation à peu près similaire, on a joué à la roulette russe. Si on remonte dans le passé croyez-vous que Napoléon serait arrivé au pouvoir si le directoire n’avait pas été aussi corrompu et je rappelle que Napoléon pour son premier plébiscite a obtenu une très large majorité. Napoléon III quelques temps plus tard, rebelote. La encore les événements, je considère qu’ils se renouvellent, les mêmes causes produisant les mêmes effets, je me répète parce qu’il n’y a pas toujours suffisamment de gens pouvant faire la relation avec le passé et voir qu’il risque de se renouveler dans le présent.

Animateur - Je prends les deux dernières interventions vu l’heure sachant qu’au terme du débat on doit choisir le sujet du prochain. Juste une petite allusion à ce que disais Damien, s’il faut faire de la prévision, des chefs d’état ont essayé de se positionner dans des positions pacifistes, diminuer les armements, éviter de recourir au surarmement des pays, essayer plutôt de les diminuer. Je suis désolé, s’il faut faire la prévention des guerres, qu’est-ce qu’on nous propose en France, construire un nouveau porte avion nucléaire. Donc si ce n’est pas pour faire la guerre, ça sert à quoi. Donc je pense que si dans un pays même qui a un devoir de mémoire on construit des armements pour soi et pour les autres, c’est certainement pas pour se cajoler, je ne pense pas.

28 - D’abord je suis désolé de prendre autant la parole, ça ne m’est pas arrivé depuis longtemps. Ca va être très rapide, d’abord il y a des choses qui me semblent très importantes par rapport au devoir de mémoire mais qui vont au-delà, qui s’inscrivent dans la mémoire collective. Il y a des symboles qui restent quand même. Moi je pense par exemple au symbole du roi Léonidas, c’est vieux, c’est dans l’antiquité grecque, qui va donc combattre l’armée du roi perse. Alors ce qui est important là-dedans c’est que pour sauvegarder, le film m’a bien aidé, ceci dit c’est important de démontrer qu’il y a une différence énorme entre la réalité et le symbole qui reste, parce que bien évidement je pense qu’ils n’étaient pas 300 à combattre, ce n’est pas passé comme ça, mais l’amplification des faits par rapport à la réalité fait qu’il y a quelque chose qui s’en dégage, une valeur qui reste ancrée, le don de soi, l’abnégation et tout ça. En fait en déformant la réalité on doit réussir à toucher des choses vraies et ces symboles sont aussi importants même si justement on n’est pas dans l’Histoire, dans le fait de raconter les faits tels qu’ils se sont passés. Là il y a quelque chose d’important dans le fait de transmettre des valeurs. C’est vrai aussi pour les justes, il y a une exposition au Mémorial de Caen en ce moment sur les justes. Certainement qu’ils n’étaient pas non plus tout blanc mais le fait de mettre en avant des personnes qui ont œuvré pour telle ou telle causse fait que ça devient des symboles. Donc c’est important de montrer le fait de raconter l’Histoire ou les faits point par point ce n’est pas le seul moyen de toucher la vérité ou de faire transmettre des valeurs. Un autre point, à mon avis la mémoire c’est de la matière et ça ne rime à rien d’avoir cette matière si on ne fait pas un retour sur nos propres actions, sur nos propres pensées. C’est à mon avis comme ça qu’on apprend, on peut se poser des questions, mais oui j’apprends des choses sur l’Histoire mais dans la vie de tous les jours, ce que je ressens, mes impulsions qui arrivent face à des événements de tous les jours, comment je réagis, et le miroir qu’on se fait sur nous-mêmes permet justement de nous-mêmes apprendre. Mais on n’apprend pas seulement des choses figées il faut aussi travailler sur nous-mêmes. Et puis, mais Damien l’a dit le devoir d’anticipation on n’en a pas parlé mais c’est à mon avis le pendant du devoir de mémoire, aujourd’hui on occulte beaucoup le futur à tel point qu’on se demande si l’humanité va encore exister dans 50 ou 100 ans avec toutes les choses qui restent ancrées, toute l’industrialisation qui détruit notre nature.

29 - Pour répondre à monsieur Seeuws, je vais prendre juste l’exemple de la société d’aujourd’hui pour essayer de voir si on peut en trouver des conséquences. On est à peu près tous d’accord pour voir que depuis un certain temps il y a une déliquescence du système politique en terme d’efficience, on est à peu près tous d’accord pour savoir qu’il y a une fracture sociale importante, qu’il y a un problème d’élite par rapport à la vision populaire. Alors avec ces trois, je pourrais en citer d’autres, mais on va faire court, est-ce qu’avec ces quelques remarques on peut en conclure qu’on est en période pré révolutionnaire et si oui c’est très intéressant parce que ça veut dire qui si vraiment on peut le faire, moi je crois pas qu’on puisse faire de manière aussi tranchée, c’était aussi le sens de mon propos, mais si c’est vrai je pense qu’il y a quand même quelques inquiétudes à avoir parce que si on sait relire l’Histoire la période pré révolutionnaire ce n’est pas seulement le serment du jeu de paume, c’est aussi la guillotine. Donc sommes-nous suffisamment et peu sages pour recommencer ?

Animateur - La guillotine, c’est un peu ringard quand même. Sur cette petite allusion, je pense qu’on pourra faire mieux et qu’on sait faire mieux depuis. On vous remercie d’être venu débattre du sujet de ce jour, on le garde bien en mémoire, et peut- être qu’on aura l’occasion de reparler de sujets équivalents ou qui s’en rapprochent pour ne pas oublier le débat d’aujourd’hui. On va passer au vote du prochain sujet.

Choix du thème pour le prochain Café Citoyen :

1 - Sommes-nous dans la dictature de la transparence ? 8 voix
2 - Quelle télévision publique pour demain ? 14 voix
3 - Existe-t-il une dictature de l’opinion publique ? 8 voix
4 - La femme est-elle l’avenir de l’homme ? 8 voix
5 - Quel avenir pour les énergies renouvelables en France ? 4 voix
6 - Comment protéger la dignité sur Internet ? 4 voix
7 - Travailler plus pour répartir plus ou répartir moins ? 12 voix
8 - Travailler pour quoi faire ? 10 voix
9 - La rétention de sureté est-elle acceptable ? 16 voix
10 - Comment intégrer l’écologie dans la politique d’un quartier ? 8 voix
11 - Peut-on remettre en cause la constitution ? 15 voix
12 - Qu’en est-il de l’égalité parentale ? 5 voix
13 - Est-il vraiment nécessaire d’être citoyen ? 19 voix
14 - Faut-il réviser la loi de 1905 ? 13 voix
15 - Comment concevez-vous le maire du 21° siècle ? 7 voix

Prochain débat le samedi 22 mars à 15 heures : Est-il vraiment nécessaire d’être citoyen ?

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