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Compte-rendu synthétique par Élisabeth RodotCafé Citoyen de Argentan (24/02/2004)

Animateur du débat : Élisabeth Rodot

» Religion et Spiritualité

La religion est-elle une affaire privée ?

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Les récents débats sur la laïcité nous ont conduits à nous interroger sur la place de la religion dans notre société : doit-elle se vivre strictement de manière privée, comme un moine peut le faire, à l'écart du monde, où doit-elle interpeller publiquement et officiellement l'État sur les questions de société ? Quand les religieux ne prennent pas position (exemple Pie XII à qui on a reproché son silence sur les atrocités nazies), on le leur reproche ; quand ils s'impliquent, on le déplore également…

La cloison entre le politique est très mince. Nombreux sont les prêtres à s'être engagés pendant la guerre, soit comme miliciens, soit comme résistants. Quand un imam intervient sur le port du voile c'est aussi sa foi qui le conduit à prendre position sur une chose publique. Au Chili les prêtres se sont engagés au côté des révolutionnaires (théologie de la Libération…). L'abbé Pierre a pris parti pour les sans-logis… Les exemples de convergence entre les deux domaines sont donc multiples. Qu'est-ce qui est donc commun au politique et au religieux ?

D'abord, l'un comme l'autre ont pour but de penser la vie en société. La politique commence à l'autre. « Religion » vient de « religere », relier. Toute communauté humaine a besoin d'Unité, de se rassembler derrière un drapeau. C'est à cela que servent les mythes, les croyances, les idéologies, les systèmes de pensée… De Gaulle, comme Lénine ou autres grands personnages historiques ont pu jouer ce rôle de rassembleurs. Souvent le besoin de croyance va avec le besoin de mettre de l'ordre dans le monde, de lui donner un sens. Les Évangiles pourraient être lus comme une parole politique, la voie du religieux et du politique se rejoignant dans l'humanitaire. Mais si religion et politique créent de l'Unité, la tentation totalitaire n'est pas loin, danger permanent des idéologies et de tous les absolutismes…

C'est pourquoi la laïcité, qui garantit la liberté de conscience ou d'opinion, doit être sauvegardée à tout prix. Notre monde actuel a aussi été façonné par la pensée grecque, qui a permis l'émergence d'un certain type de démocratie, le développement des sciences, la garantie d'une certaine liberté. Si l'Unité est un drapeau, elle produit automatiquement des déviations qui mènent à la pluralité. C'est la démocratie qui rend justement possible ce droit à la pluralité. La pensée grecque a produit des valeurs universelles, telles que la tolérance, la liberté de conscience, actuellement menacées par le renouveau religieux à tendance intégriste. La laïcité est le résultat d'une histoire, le fruit d'un combat, y déroger maintenant serait ouvrir une brèche à l'obscurantisme. Ce qui est visé à travers l'épiphénomène du voile, c'est bien le statut de la femme, ce sont ses droits (par exemple celui d'avoir une photo d'identité sur son passeport) qui sont remis en cause, donc une des valeurs fondamentales de notre société qui veut que « les individus naissent libres et égaux en droits ». La religion ici n'est qu'un prétexte... un instrument au service d'un message politique.

Notre société laïque permet d'aménager les places respectives de la religion, de la science, du politique. Si religion et politique sont intrinsèquement liés, il reste cependant à organiser leur rapport. Justement, la religion n'est-elle pas quelquefois instrumentalisée par le politique ? On reproche souvent à la religion d'avoir généré des conflits, mais l'enjeu de ceux-ci est souvent plus politique que religieux. Par exemple derrière l'islam fondamentaliste, favorisé par le repli identitaire des communautés en mal d'intégration, se cache la volonté politique de lutter contre l'impérialisme américain. De même le poids du protestantisme aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne n'est pas négligeable. Le fait que les hommes politiques au pouvoir se réclament ouvertement de leur religion vise à renforcer les choix politiques : ceux-ci sont forcément justes puisque décidés au nom du Bien. Cette recrudescence du religieux fondamentaliste est un danger pour nos démocraties occidentales fondées sur la liberté de penser.

Le triomphe des valeurs laïques menace-t-il l'exercice et le développement de la foi religieuse ? Oui, si l'on envisage celle-ci comme une vérité absolue, exclusive de tous les autres systèmes de pensée. Non, si la foi est vécue plutôt comme une quête, habitée par le doute et respectueuse de la foi d'autrui… La religion, d'ailleurs, n'a pas le monopole du dogmatisme : on trouve des intégristes de la science, du matérialisme historique… et même de la laïcité !

Au terme de cette réflexion, on peut dire que religion et politique expriment toutes deux un point de vue légitime sur le monde, et peuvent donc s'exprimer publiquement, à condition de respecter la liberté de penser de l'autre.

Thèmes proposés pour les prochains débats :

- Faut-il se méfier du progrès ?
- Sommes-nous des apprentis sorciers ?
- Mondialisation : partage ou carnage ?
- La santé publique est-elle malade ? thème retenu pour le 23 mars
- abstention, vote blanc… est-ce nul ? thème retenu pour le 9 mars

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