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Compte-rendu synthétique par Marc HoussayeCafé Citoyen de Caen (13/12/2008)

Animateur du débat : Boris Vaisman

» Politique et Société

La discrimination peut-elle être positive ?

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Le terme de « discrimination positive » semble être, pour la grande majorité des citoyens, une expression antinomique. En posant la question « la discrimination peut-elle être positive ? », l'assemblée s'est interrogée sur une locution qui éclaire le fonctionnement de notre société. La logique de la discrimination positive fonde sa légitimité sur le bon sens et la raison pratique. "Contraria contrariis curantur" : les contraintes se guérissent par les contraires, voilà une formule classique et efficace. La discrimination positive est en effet un ensemble de mesures visant à favoriser certaines personnes appartenant à des catégories dont des membres subiraient ou auraient subi des discriminations systématiques.

La discrimination positive est née aux États-Unis (doctrine de l'"affirmative action") essentiellement pour défendre les droits civiques et abolir la ségrégation raciale. La société française s'est en quelques années habituée à entendre parler, ainsi que constater des applications, de discrimination positive. On cite l'exemple de l'Institut d'Études Politiques (IEP) de Paris qui en 2001 a mis en place une procédure spéciale d'admission pour les lycéens venant de ZEP (Zone d'Éducation Prioritaire). Il est question ici de l'intégration des jeunes issus des banlieues dans des Écoles considérées comme prestigieuses. Aujourd'hui, plusieurs ministres personnifient cette discrimination positive : Rachida Dati, Rama Yade, Fadela Amara sont devenues des icônes de la diversité. On cite également Harry Roselmack, premier journaliste noir à présenter le journal de vingt heures. On évoqua bien évidemment l'accession de Barack Obama à la présidence des États-Unis. Soulignons toutefois qu'Obama n'est pas un enfant de la discrimination positive, pratique politique qu'il ne promeut d'ailleurs pas.

Mais ne nous y trompons pas. Ces exemples, très médiatisés, sont en quelques sortes plus symboliques que réellement significatifs de l'adoption de la discrimination positive par la société française tout entière; Car, même si la loi du 10 juillet 1987 en faveur de l'emploi des travailleurs handicapés impose à toute entreprise de 20 salariés ou plus d'employer au moins 6% de travailleurs handicapés, rares sont les entreprises qui respectent cette règle et nombreuses sont celles qui préfèrent payer la contribution à l’AGEFIPH (Association pour la gestion du fonds de développement pour l’insertion professionnelle des travailleurs handicapés) en guise de pénalisation.

Les débatteurs cherchent cependant à comprendre les fondements de la discrimination, et de la capacité d'une personne à se définir plus ou moins discriminé, rejeté, mis à l'index. « Ne sommes-nous pas tous, avance-t-on dans la salle, et ce depuis notre naissance, "victime" de multiples discriminations liées à l'âge, à notre physique, que l'on soit petit, grand, obèse, maigre, voire tout simplement laid, ou à nos comportements, que l'on soit bègue, homosexuels, etc. ? ». Ce qui fait dire à une intervenante qu'« il existe beaucoup plus de discriminations invisibles que celles qui sont médiatiquement mises en avant ».

Interrogeons-nous sur les phénomènes de reconnaissance entre individus et d'affirmation par l'altérité.

Dans l'esprit de beaucoup, la discrimination est une démarche foncièrement négative (puisque la discrimination positive est là pour l'entraver). Or, discriminer c'est d'abord une faculté, celle qui consiste à distinguer, à discerner, à constater des différences. Et cette capacité est essentielle pour reconnaître l'autre dans son unicité. Nous sommes tous différents, et s'en rendre compte est source d'enrichissement. D'ailleurs, depuis la Renaissance, ce mouvement de valorisation de l'individu est en plein essor dans nos sociétés. Les mouvements humanistes valorisent en effet l'individu et encourage en quelque sorte à la discrimination, tout en associant bien évidemment cet exercice au respect des différences. Interrogeons-nous sur notre époque : que penser de cette tendance actuelle de considérer la discrimination – en l'associant immanquablement au racisme, à l'intolérance – comme un acte foncièrement négatif ? Ne serait-ce pas l'indifférence – au sens de la négation de la différence – qui serait le phénomène le plus dangereux de nos jours ?

Pour certains, la discrimination positive montre un retour du politique dans les affaires sociales, une volonté de peser sur la société en freinant l'accroissement des inégalités. Pour d'autres, les politiques, « en panne de vision éclairante », se contentent de "rafistoler", de "bricoler" le concept d'égalité qu'ils n'arrivent plus à faire appliquer. On dénonce également l'utilisation du « politiquement correct » dont s'entourent toujours ces mesures, la plupart du temps associées aux tactiques politiciennes dans un contexte de réélection.

Dans la salle, on met en garde contre les conséquences néfastes de telles mesures. La discrimination positive peut ainsi engendrer l'idée fausse selon laquelle la personne qui en bénéficie est moins compétente. Il peut exister aussi une inadéquation entre certaines professions et des apparences physiques. Un agent commercial peut-il avoir un visage ingrat ? Faire accroire une telle éventualité n'est-il pas une escroquerie ? Quoique imaginer l'éventualité d'une « hôtesse d'accueil moche, obèse et bègue ne manquerait pas d'humour », donc de recul et distance sur les choses, souligne quelqu'un dans la salle. Et puis, bien-sûr, ces mesures de discrimination positive sont exercées au détriment d'autres catégories. Ne pourraient-elles pas faire naître un sentiment d'incompréhension chez ceux qui seraient amener à entrer en compétition pour un emploi par exemple et qui, à compétences égales, se verraient refuser le poste ? Comment accepter ce « favoritisme » quand on a besoin, tout comme l'autre, de cet emploi ? En ce sens, cette manière de faire de la politique s'oppose au principe d'égalité de droit.

En revanche, si la discrimination positive semble bafouer cette égalité, ne serait-ce pas pour rechercher autre chose que l'égalité, en l'occurrence une forme de justice sociale ? Sous cet angle, l'enjeu se situe à un niveau sociétal. On considère alors souvent la discrimination positive comme un petit « coup de pouce » bien utile à l'égard de celles et ceux pour qui l'égalité des chances, l'égalité des moyens, sont affaiblies. Et si nombreux sont les citoyens qui reconnaissent une possible nécessité à employer des mesures de discrimination positive, tous considèrent qu'elles ne doivent être qu'une étape, qu'une phase pour atteindre un équilibre.

Mais quel serait cet équilibre ? Voici donc une problématique de taille ! Que serait une représentation conforme de la société française ? Cela signifie-t-il que chaque catégorie sociale, religieuse, ethnique, biologique, culturelle, devrait être représentée dans chaque administration, assemblée, conseil, etc. ? Bien-sûr, on dénonça le manque criant de femmes, de noirs, de maghrébins, à l'Assemblée Nationale; Malgré, par ailleurs, l'adoption de la loi de 2000 sur la parité qui oblige désormais chaque liste électorale à présenter autant de femme que d'homme. Une discrimination positive soit dit en passant basée dans ce cas sur le principe du quota, principe que bon nombre d'interventions jugent critiquable, soit qu'il y ait pour la femme un caractère humiliant à « faire partie d'un quota » - notion peu compatible avec la notion de respect de l'individu -, soit que sa praxis révèle une attitude hypocrite - la recherche de candidate féminine étant généralement plus motivée par l'obligation légale que par la volonté et l'envie réelle d'exercer une charge politique.

Et puis, que penser de la représentation statistique ? Est-elle vraiment la solution à la représentativité du peuple, garantit-elle l'expression populaire et surtout l'intérêt général ? Finalement, quels seraient les critères de discrimination (socio-économique, biologique, culturelle, ethnique...) qui aboutiraient à une représentativité convenable ?

D'aucuns voudraient que l'Assemblée Nationale soit plus représentative, qu'elle soit une sorte de « vitrine », d'« échantillon » de la population française. Mais, lance-t-on dans la salle, « pourquoi serait-on mieux représenté par une personne ayant la même couleur de peau ou ayant les mêmes préférences sexuelles que soi s'il ne défend pas les mêmes idéaux que soi mais au contraire les mêmes idées que bon nombre de députés appartenant au même "clan politique" » ? Ne devrions-nous pas réclamer avant tout une pluralité des idées ? Ne devrions-nous pas demander plus de diversité du point de vue des familles de pensée et des projets de société ?

A force de vouloir à tout prix composer une mosaïque en s'attachant à des critères qui ne devraient finalement pas avoir d'importance du point de vue des idées, n'accentuons-nous pas le repli communautariste ? En contentant chacun dans son petit milieu, dans sa communauté, qu'elle soit religieuse, ethnique, ou professionnelle, ne nous fermons-nous pas ainsi les portes de la citoyenneté ? Et le risque n'est-il pas de considérer les bénéficiaires d'une discrimination positive comme des sous-citoyen ? N'est-ce pas leur interdire d'accéder véritablement au titre de citoyen, c'est-à-dire celui que je reconnais comme mon égal, au delà de tout caractère personnel ?

On évoqua également la question des modèles chez les enfants qui, parce qu'ils verront un noir à la télévision, une femme en politique, pourraient construire leur personnalité selon d'autres schémas représentatifs. Il existe en effet des barrières psychologiques liées à notre environnement éducatif. Quelles sont les repères du « petit d'origine maghrébine du 93 » quand les contes pour enfant ne possèdent que des héros et héroïnes à la peau blanche ? De même, comme le rappelle un intervenant dans la salle, ne nous interdisons-nous pas d'accéder à certaines carrières professionnelles (médecin, cinéaste, chanteur, etc.) lorsque l'on est, par exemple, issu de la campagne ? Avons-nous d'ailleurs connaissance de ces possibilités ? La discrimination positive permet ainsi de modifier la représentation que l'on a de la société, de casser des barrières psychologiques dans la tête d'enfants qui pourront ainsi se dire « moi aussi, je peux ! ».

On regretta beaucoup que la mixité sociale ne soit pas assez développée dans notre société. La ghettoïsation des quartiers s'accentue (dans les banlieues comme à Neuilly-sur-Seine). Pourtant, « la seule voie durable est de vérifier que l'égalité des droits et des moyens sont présents partout » insiste un citoyen. On avance même que « la mobilité sociale est liée à l'égalité devant l'enseignement ». Or, « dans les concours administratifs, affirme-t-on, on supprime peu à peu le socle de la culture commune ». « On a déjà supprimé les épreuves d'orthographe et de littérature sous prétexte que ce serait discriminatoire, on veut désormais supprimer les épreuves de culture générale ». Ne plus rien savoir serait-il le moyen de ne plus distinguer de différences entre les individus ? Ne devrions-nous pas plutôt nous attacher à développer les moyens pour tous d'accéder à la culture ?

Le Café Citoyen se termina en évoquant les lieux auxquels on s'interdit d'accéder. Quelques organismes, notamment les Caisses d'Allocations Familiales souligne une intervention, réalisent auprès des populations des quartiers de l'agglomération caennaise, des rendez-vous dans l'optique de faire découvrir l'opéra au Conservatoire ou le théâtre à la Comédie de Caen; Il y a donc nécessité, pour les lieux culturels notamment, de toujours rester accessible et de faire prendre conscience qu'aller au théâtre, au conservatoire, ou même débattre au Café Citoyen, est à la portée de tous et non une activité réservée à une quelconque élite.

Choix du thème pour le Café Citoyen du samedi 10 janvier 2009 :

1 – Une crise économique majeure pourrait-elle remettre en cause la démocratie ? 14 puis 6 voix
2 – Supprimer la publicité sur la télévision publique : chance ou handicap ? 6 voix
3 – Que faut-il craindre au XXIème siècle pour les Droits de l'Homme dans le monde ? 3 voix
4 – Quelle télévision publique pour demain ? 5 voix
5 – Le travail dominical peut-il remettre en cause la vie familiale et sociale ? 7 voix
6 – Faut-il légaliser l'euthanasie ? 12 voix
7 – Y-a-t-il des points communs entre Jésus Christ et le Père Noël ? 6 voix
8 – Le dogme écologique peut-il conduire à une dictature ? 14 puis 13 voix
9 – Doit-on agir en primitif ou prévoir en stratège ? 2 voix
10 – L'égalité parentale est-elle respectée aujourd'hui ? 8 voix
11 – Les citoyens peuvent-ils déterminer l'impôt ? 3 voix
12 – La révolution technologique favorise-t-elle la conscience citoyenne ? 5 voix
13 – La fermeture des entreprises industrielles va-t-elle entraîner une nouvelle forme de consommation ? 2 voix
14 – Qu'est-ce que le bonheur ? 9 voix

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