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Honoré de Balzac (1799 - 1850)

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Compte-rendu synthétique par Marc HoussayeCafé Citoyen de Caen (08/10/2003)

Animateur du débat : Marc Houssaye

» Démocratie et Citoyenneté

La démocratie est-elle condamnée à la démagogie ?

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Le démagogue est littéralement « celui qui conduit le peuple » (du grec demos et agôgos) avec, à l’origine, une idée de justice. C’est à partir de la guerre du Péloponnèse (vers 400 av. JC) que le terme prend une connotation péjorative en s’appliquant à tous ceux qui mènent le peuple par la flatterie. Cléon est l’exemple type d’orateur démagogue habile à exploiter la crédulité de la foule.

Le démagogue conduit donc le peuple. Mais quel sens donner à ce verbe conduire ? La tâche est d’autant plus rude que depuis que nous avons vécu les régimes totalitaires du siècle dernier (nazisme et fascismes), nous assimilons volontiers la conduite à la fascination et à l’endoctrinement, voire à la foi aveugle. Le führer (de l’allemand führen, diriger) n’avait-il pas la prétention de conduire également le peuple ?

Aidons-nous du terme pédagogue qui possède la même racine latine et qui signifie « conducteur d’enfants » (du grec paidagôgos). Un pédagogue est « un éducateur qui se donne pour fin l'émancipation des personnes qui lui sont confiées, la formation progressive de leur capacité à décider elles-mêmes de leur propre histoire, et qui prétend y parvenir par la médiation d'apprentissages déterminés » (Philippe Mérieu in "Le choix d’éduquer"). Le terme « conduire » s’apparente alors à « éduquer », « élever ». Le démagogue guide donc le peuple. Il propose une direction à la société toute entière. La notion de démagogie peut alors glisser vers le despotisme éclairé.

Ainsi, il reviendrait aux dirigeants de transformer le peuple. Ils disposent pour cela de l'art de convaincre. Ce n’est pas l'art de persuader, c'est-à-dire de flatter les passions vulgaires, mais l'art d'élever le peuple à la conscience rationnelle des intérêts supérieurs de la société, voire de l'humanité.

Le véritable dirigeant politique devrait donc être un éducateur du peuple; c'est même par cette éducation que la multitude des individus peut devenir un peuple de citoyens unis. Par comparaison, peut-on concevoir une école où les enfants décideraient de l'enseignement et de l'éducation qu'ils désireraient recevoir ? La foule sait-elle spontanément ce qui est de l’ordre de l’intérêt général, ce qui est juste et ce qui est injuste ? Pas plus, si elle n'est pas formée par les dirigeants, que les enfants ne savent résoudre un problème de physique lorsque celle-ci ne leur a pas été enseignée.

Cependant, le pouvoir démocratique confie aux citoyens le soin de décider des affaires communes. En démocratie, c’est donc le peuple qui est « aux commandes », au plus haut niveau stratégique, il donne la direction et le sens politique. Le paradoxe se situe à la croisée de ces chemins : le démagogue guide le peuple, mais le peuple doit être maître de son destin. Soulignons seulement cette contradiction qu’il faudrait approfondir. N’oublions pas que la démocratie n’est jamais achevée et que l’idéal démocratique s’entretient.

La manipulation est véritablement ce qui nous hante le plus aujourd’hui lorsque l’on évoque la démagogie. Si les hommes politiques s’éloignent du citoyen, c’est que ce dernier ne leur porte plus crédit, se méfie d’eux, voire, à force, s’indiffère de leurs propos. Dans la salle, nombreux sont ceux qui disent ne pas être dupes des discours politiciens. « Où sont les programmes politiques ? » « Les promesses électorales ne doivent-elles pas s’accompagner de plans, voire de démonstrations ? » L’incapacité de nos dirigeants à proposer un projet de société amène la plupart d’entre nous à la désinvolture. L’abstentionnisme croissant en est un indicateur plus qu’éloquent. On s'interroge d’autant plus que manifestement la simplification à outrance du discours politique s’accompagne d’un marketing électoral, et les techniques de persuasion commerciale flirtent souvent avec des finalités politiques. Le citoyen manifeste certes son sentiment d’abandon, latent, crypté, mais s’accroche également à des politiciens qui restent malgré tout pour lui des références. Quel jugement doit-on porter sur notre attitude consumériste et attentiste ?

Si l’on peut douter de la démagogie de nos politiques dans son acception originelle - c’est-à-dire de leur rôle d’éducateur - on ne peut pas, par contre, taire son acception, désormais courante, de « flatteur » (soutien des corporatismes, communautarismes et intérêts particuliers).

Cette méfiance à l’égard du politicien (justifiée ou non), et plus généralement vis-à-vis de l’institutionnel, est-elle dangereuse pour la citoyenneté ? A y regarder de plus près, le développement de l’implication personnelle dans le milieu associatif et la sensibilisation grandissante aux problèmes de la société et du monde laissent penser que le sens civique n’est pas perdu. Ce sens civique ne possède peut-être pas les cadres nécessaires à sa pleine expression.

Notes :

Autres thèmes traités en rapport avec cette question :
- Comment ramener la population à plus de civisme ? - Café Citoyen du 23/02/2002 - Arcadie de Caen
- La politique est-elle un métier ? - Café Citoyen du 10/05/1999 – Arcadie de Caen
- La démocratie doit-elle permettre l'arrivée au pouvoir de partis non-démocratiques ? - Café Citoyen du 02/02/2000 – Arcadie de Caen

Suggestions bibliographiques :

- "La République de Platon", livre VI, Flammarion.
- "De la démocratie en Amérique" d’Alexis de Tocqueville, Flammarion.
- "Le choix d’éduquer" de Philippe Mérieu, ESF éditeur, 1995.

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